La série d'attentats sanglants, qui a visé cette semaine des unités de l'armée malienne à Niafunké et Ménaka, donne a posteriori raison aux experts qui ont régulièrement prévenu ces derniers temps qu'il reste encore beaucoup à faire pour sécuriser le Sahel, un avis partagé du reste par l'Organisation des Nations unies, qui participe actuellement avec 10 000 soldats et policiers à la stabilisation du Mali. Malgré la mobilisation également par la France, depuis le début de l'année 2013, de près de 4000 hommes dans la cadre des opérations «Serval» et «Barkhane», destinées à extirper l'Afrique de l'Ouest des griffes du terrorisme, la situation reste en effet extrêmement volatile dans la région. A ces 4000 soldats français, il faut sans doute ajouter aussi les commandos de l'Africom qui sillonnent régulièrement la région. La facilité avec laquelle les éléments du Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (Jamaat nosrat al islam wal mouslimin), dirigé par Iyad Ag Ghali, et de l'Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS), créé par Adnane Abou Walid Al Sahraoui — deux groupes terroristes rivaux nés récemment d'une recomposition de la carte terroriste régionale — se déplacent d'un pays à un autre et commettent leurs attaques laisse par ailleurs planer d'innombrables interrogations sur l'efficacité de la stratégie régionale de lutte antiterroriste. La question se pose d'autant plus que des experts africains en matière de lutte contre le terrorisme préviennent contre une nouvelle recrudescence des actes de terrorisme avec le retour attendu des éléments de la très fournie légion africaine de Daech en Syrie et en Irak. Il y a lieu aussi de tenir compte de la menace exercée par Boko Haram, dont les éléments ont tendance à opérer de plus en plus loin de leur bastion nigérian. Risque terroriste élevé Le danger est tellement grand que le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (CPS), dirigé par l'Algérien Smaïl Chergui, a d'ailleurs saisi l'opportunité du 30e sommet de l'organisation panafricaine, qui s'est tenu en début de semaine à Addis-Abeba, pour tirer une nouvelle fois la sonnette d'alarme et demander aux leaders africains de s'organiser afin de parer de la meilleure manière qui soit à la menace. Smaïl Chergui, qui a déjà eu à avertir — lors d'une réunion sur les moyens de combattre le terrorisme, organisée par l'UA et l'Algérie à Oran le 11 décembre dernier — des risques sur la stabilité et la sécurité du Sahel de ces retours, rappelle qu'au bas mot 6000 Africains sont partis «combattre» en Syrie et en Irak dans les rangs de l'organisation Etat islamique. Il faudrait s'attendre donc à ce que presque autant de terroristes reviennent en Afrique. Et sur ces 6000 terroristes, le gros des troupes est originaire du Sahel et du Maghreb. Cette sombre perspective commence déjà sérieusement à préoccuper certains responsables algériens. L'Algérie, de l'aveu d'une source sécuritaire, perçoit la crise au Sahel de manière générale et le retour au bercail des combattants africain de Daech comme «l'une des principales menaces sécuritaires des années à venir». C'est la raison pour laquelle, explique cette source, ordre a été donné à l'armée algérienne de surveiller les frontières avec le Mali, le Niger, la Libye et la Tunisie comme on surveillerait le lait sur le feu. Le gouvernement algérien veut faire en sorte à ce qu'elles soient le moins perméables possibles. Pour cela, il n'a lésiné ni sur les moyens matériels, ni sur les moyens humains, ni sur les moyens financiers. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la sécurité et l'effort de guerre coûtent plusieurs milliards de dollars au Trésor public algérien. La menace vient aussi du Maroc Est-ce de l'argent jeté par les fenêtres ? Les experts en terrorisme assurent que non. Ils défendent au contraire l'idée que «le Sahel pourrait bien devenir le nouvel Afghanistan de l'Afrique et qu'on n'est jamais assez bien armé contre la menace terroriste». A ce propos, l'Algérie a fait comprendre à de nombreuses reprises à ses partenaires locaux et internationaux qui veulent la voir «jouer un rôle militaire plus grand dans la région» qu'il n'était pas question pour elle de devenir le gendarme, et encore moins le Pakistan du Sahel, une région où les armées les mieux entraînées du monde ont déjà subi de sévères revers. Tous les états-majors de toutes les armées impliquées dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest craignent en effet l'enlisement. Pour Alger, tout le monde doit prendre ses responsabilités dans cette guerre contre le terrorisme pour laquelle elle a déjà consenti beaucoup d'efforts et de sacrifices. Mais il n'y a pas que le Sahel qui préoccupe les autorités algériennes. Bien sûr, il y a le bourbier libyen à l'origine d'une grande partie des maux actuels du Sahel. Daech rêve d'ailleurs d'en faire sa nouvelle capitale. Mais il y a aussi la situation sécuritaire en Tunisie et au Maroc qui provoquent des nuits blanches aux autorités algériennes. L'information n'a pas trop circulé, mais le Maroc continue à exporter des terroristes un peu partout dans la région. La Tunisie risque, quant à elle, d'avoir du mal à faire face au retour de Syrie et d'Irak de ses djihadistes, surtout que tout le monde sait qu'ils sont très nombreux. Ils seraient entre 3000 et 4000. A cela, il faut ajouter que ce pays est à la peine économiquement. Dans ce décor des plus inquiétants, il y a quand même matière à consolation. Les services algériens de sécurité assurent que la situation sécuritaire en Algérie est sous contrôle. La preuve, le pays n'a plus enregistré d'attentats majeurs depuis janvier 2013. L'ANP, l'armée algérienne, les unités de lutte antiterroriste des autres corps de sécurité ont tellement mis la pression sur les quelques rares poches de terroristes encore en activité que les éléments d'Aqmi ne peuvent même plus sortir de leur tanière sans prendre le risque de se faire attraper. Les coups de filet réalisés cette semaine à l'est du pays accrédite même l'idée que l'organisation criminelle dirigée par Abdelmalek Droukdel vit son dernier quart d'heure. Maintenant, le défi pour l'Algérie sera de limiter les infiltrations terroristes. Cela sera certainement une guerre d'une toute autre nature.