Il y a le feu à la maison… Si nous ne faisons rien, dans deux ou trois ans nous n'aurons plus d'argent pour importer quoi que ce soit, y compris les céréales… Nous allons droit dans le mur… Nous avons perdu en trois ans 50% de nos réserves de change, soit 44 milliards de dollars…». Ce n'est pas un irréductible opposant politique qui le dit, mais le ministre du Commerce, Mohamed Benmeradi. Membre du gouvernement, il a accès au tableau de bord de l'économie algérienne, et s'il a décidé de livrer les vrais chiffres à l'opinion publique, c'est probablement pour ne pas cautionner les dérives passées et pour éviter de se défausser de ses responsabilités vis-à-vis de ses compatriotes et de l'histoire. C'est ce qu'a fait Bakhti Belaïb, son prédécesseur et, dans une certaine mesure, l'ex-Premier ministre Abdelmadjid Tebboune. Le premier a été désavoué, le second démis de ses fonctions, rappelons-le. On peut supposer que depuis quelque temps, au niveau le plus élevé de l'Etat, le silence ne fait plus recette car il est devenu impossible de «cacher le soleil avec un tamis» : le silence est plus porteur de périls que les faits cachés et non dévoilés, il conduit à la compromission et à la complicité dans la mauvaise gestion et dans le pillage des ressources. Du début des années 2000 à ces derniers temps, il a été la règle au sein du pouvoir politique qui a caché la destination exacte des 800 milliards de dollars dépensés par les pouvoirs publics. Alors que la crise pétrolière pointait du nez, le gouvernement Sellal cultivait l'optimisme, niant totalement ses conséquences sur l'Algérie. Il n'a commencé à relativiser son discours que durant les derniers mois de son règne, faisant perdre à l'Algérie cinq années de prise de conscience et de mobilisation. Parce qu'il ne voulait pas de tache sombre sur le règne de Bouteflika et incapable d'aller vers des remises en cause de la gestion traditionnelle du pays, Sellal a préféré cultiver le mensonge. Certes, Ouyahia, l'actuel Premier ministre, n'est plus sur la même trajectoire, mais son art est de cultiver les demi-vérités : il cache celles qui l'arrangent et ne dérangent pas le président de la République pour ne livrer que celles qui culpabilisent la population dans le but de lui arracher des sacrifices. Ouyahia ne dévoile qu'une partie de son plan en direction des entreprises publiques, présenté comme un partenariat avec le privé alors qu'il s'apparente à une liquidation pure et simple d'entreprises publiques jugées déficitaires structurellement. Le Premier ministre avance, par ailleurs, masqué sur le terrain des subventions des prix, cachant ses réelles intentions à la population en plein désarroi. Une politique honteuse qui ne fait qu'aggraver le chaos national, en témoigne le gravissime constat du ministre du Commerce. Si la sphère économique est frappée de plein fouet, le monde des idées et de la culture n'y échappe pas lui aussi. Un appel d'un groupe d'éminents chercheurs en sciences sociales et économiques vient d'interpeller toute la nation (El Watan du 4 février) sur les soumissions imposées aux chercheurs à une administration violente, sur la clochardisation des universités, sur l'interdit de «penser» la société : «Il est juste permis de compter, d'obéir davantage à un pouvoir qui n'est plus qu'un corps administratif violent et autoritaire. Un appel à la mobilisation de toutes les consciences. Pour que, comme dans tous les autres secteurs d'activité, triomphe l'intelligence sur la bêtise et l'ignorance, la science sur le charlatanisme et la vérité sur le mensonge.»