Un facteur d'unité au sein d'un même Etat mais aussi entre les Etats d'Afrique du Nord.» Tel est le résumé «très optimiste» présenté, hier, par Nacer Djabi, du projet concrétisé par le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) autour de la thématique : «La gouvernance de la diversité : la situation des communautés amazighes en Afrique du Nord.» Le sociologue émérite considère que les élites dirigeantes nord-africaines ont évolué dans leur perception de la dimension amazighe de leurs populations respectives. «Les élites dirigeantes ont toujours considéré la question (amazighe) comme un facteur de division, et ce, dès la mise en place des régimes jacobins après les indépendances. Nous constatons une évolution, puisque ces mêmes élites acceptent désormais cette dimension», estime, en substance, le Pr Djabi. Pour le chercheur, qui s'est fait remarquer dernièrement par une chronique sur les «marsiens» de l'identité, dont il faudra se méfier, la question amazighe ne «doit pas être politisée» outre mesure. «Les élites doivent désormais laisser respirer la société en lui permettant de trouver elle-même et sans se précipiter des solutions aux questions posées par l'utilisation de la langue amazighe et les formes de gouvernement.» Le projet présenté hier au siège du Cread est la concrétisation d'une coopération entre le Centre de recherche dans le développement international (CRDI – Canada) et le Cread (Algérie). Thème principal : «L'étude des formes d'expression de la revendication amazighe en Afrique du Nord, soit dans cinq pays de la région, à savoir l'Algérie, le Maroc, la Libye, la Tunisie et l'Egypte». La recherche a démarré en janvier 2016, grâce à la subvention du CRDI, et a été finalisée en décembre 2017, avec la participation de onze chercheurs de divers horizons scientifiques (politologues, sociologues, anthropologues…) issus des cinq pays, sous la responsabilité du professeur Nacer Djabi. L'équipe s'est assigné comme objectif inédit dans la région : avoir une recherche comparative présentant les similitudes et les différences dans les formes d'expression et de revendications dans les cinq pays, et au sein de chaque pays, où il y a plusieurs communautés amazighes, à l'instar des Kabyles, Targuis, Rifains, etc. Prenant le contre-pied des études occidentales, les seules disponibles en sciences sociales, la recherche menée par l'équipe du Cread se fait fort de mettre l'accent sur plusieurs aspects : démographique, géographique, sociopolitique et même économique. Pour le Pr Djabi, la question amazighe est «inconnue» et n'a guère «vraiment intéressé» les chercheurs nord-africains. «Nous devons la connaître par nous-mêmes. Il faut la tirer des recherches occidentales. Nous avons nos compétences», estime le sociologue. «Déconstruire» l'histoire du mouvement amazigh Les deux chercheurs algériens, Abdallah Nouh et Samir Larabi, et Dida Badi, absent de la présentation, ont mis l'accent sur l'évolution de la revendication berbère, depuis les douloureux soubresauts du Mouvement national, et les particularités de chacune des entités étudiées (Kabylie, M'zab, Touareg) et des cadres des mouvements respectifs. Selon Larabi, les élites amazighes, les «mieux intégrées» dans le Mouvement national et par la suite dans l'Etat postindépendance, ont milité pour «une intégration forte dans l'Etat national et pour la renégociation du contrat politique et social». S'intéressant à un contexte autre, mais toujours en «interaction» avec l'expérience du voisin algérien, les chercheurs marocains, Khaled Mouna et Drid Benlarbi, ont présenté la situation différente des Amazighs du Rif et du Moyen Atlas et du rapport des locuteurs respectifs de ces deux groupes de population au makhzen qui «fait face à plusieurs diversités qu'il a créées» (le Dr Dris Benlarbi). Le politologue Mohamed Kerrou a eu le mérite de présenter la situation en Tunisie, où l'élément amazigh, souvent minoré par des élites nationalistes «plus consensuelles» que dans les autres Etats du Maghreb, a commencé à émerger après la chute de Ben Ali. Pour le chercheur, «la question amazighe est une chance pour la construction du Grand Maghreb», que les Etats-nations ont échoué à fonder à cause d'un discours de rejet des particularités locales. Le chercheur égyptien, Belal Abdallah, s'est intéressé à la lente émergence du mouvement amazigh libyen sous El Gueddafi et les tiraillements de ces cadres dans un contexte postrévolutionnaire explosif. Le cas de l'oasis de Siwa (Ouest égyptien), inconnu, est étudié dans le détail par le chercheur du centre d'El Ahram, Hany Ishak Samaan, qui estime que la population locale, attirée par d'autres référents, surtout religieux, n'assume point la revendication culturelle, prise à bras-le-corps par des activistes, «qui ne sont pas de la région». Intervenant dans le débat, l'auteur et éditeur, Brahim Tazaghart, plaide pour la «déconstruction» de l'histoire du mouvement amazigh. L'étude qui sera publiée par le Cread, au plus tard dans deux mois, devra y contribuer fortement.