Quelle est la configuration actuelle des structures organisationnelles de la religion musulmane en France ? Créé en 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM) regroupe des associations et des organisations qui sont censées gérer le culte musulman en France. Toutefois, certaines de ces structures, plus anciennes que le CFCM, gardent leur autonomie. C'est le cas notamment de la Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP) et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui a changé de nom depuis une année devenant «Musulmans de France». Tantôt, ces deux organisations adhèrent au CFCM, tantôt elles s'y retirent. Le CFCM devrait être présent sur l'ensemble du territoire français, il l'est du moins dans les grandes villes à travers des Conseils régionaux du culte musulman (CRCM). Les responsables au sein de toutes ces structures citées sont normalement élus mais l'ennui réside dans les premières élections qui ont été faites dans des conditions dignes des républiques bananières. Ce qui a toujours posé un problème de représentativité. Au vu de cela, qu'est-ce qui pose plus problème à l'Etat français ? Je pense, en tout cas d'après ce qui est annoncé par les pouvoirs publics, qu'il s'agit de ne pas trouver un interlocuteur privilégié, unique, suscitant l'adhésion de l'ensemble ou au moins de la majorité des musulmans de France. A priori, c'est cela qui pose vraiment problème, parce que le CFCM, parfois en dépit de la bonne volonté de ceux qui s'y trouvent, apparaît isolé, falot et, surtout, démuni avec 30 000 euros comme budget de fonctionnement. Par ailleurs, son portail web est classé au rang vingt-huit mille des sites internet les plus visités en France. Ce qui donne une idée sur une structure qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Que contient exactement la réforme de l'islam en France promise par Emmanuel Macron ? Pour l'instant, nous n'avons pas le détail, on l'annonce pour la fin du premier semestre de cette année. Cela me paraît d'ailleurs un peu court. Il vaut mieux prendre plus de temps afin d'avoir un projet plus réfléchi et plus cohérent. Mais d'une manière générale, la réforme concernera la formation des imams et le financement du culte. Elle portera également sur la proposition de création d'une structure unifiée, sous forme d'organisation ou d'association, à laquelle sera confiée la gestion de la pratique cultuelle des musulmans en France (pèlerinage, construction des mosquées, fixation du calendrier des fêtes, etc.). Que pensez-vous de cette volonté de réorganiser un culte quelconque par un Etat laïque ? D'une part, je pense que cette réforme prônée par le gouvernement français crée effectivement un paradoxe puisque, dans un Etat laïque, les pouvoirs publics n'ont pas à s'immiscer dans les affaires d'un culte donné. D'autre part, eu égard à la faiblesse des hiérarques musulmans jusqu'à maintenant, il est normal que l'Etat français cherche à avoir des interlocuteurs légitimes et réellement représentatifs de la religion islamique. C'est cette équation délicate qu'il faudrait résoudre avec la réforme en vue. A mon avis, il faut d'abord trouver des solutions concernant la formation d'imams français. Je ne suis pas pour que le concordat perdure, mais dès lors qu'il existe, il faut qu'il soit étendu à l'ensemble des cultes présents en France. Et de ce point de vue, il faut qu'il profite aussi aux musulmans. Par exemple, on peut créer, dans l'un des départements concordataires, une faculté de théologie islamique, un institut d'islamologie savante ou un séminaire de formation des imams, lesquels iront ensuite prêcher dans les mosquées réparties aux quatre coins de la France. Une telle initiative peut être financée par l'argent public dans les départements concordataires ou des souscriptions nationales ou internationales contrôlées par la Cour des comptes, ailleurs. A ce propos, les pays qui contribuent financièrement jusque-là à la gestion des mosquées françaises sont-ils consultés sur ce projet ? Je pense que cela est fait à titre plus au moins officieux à travers des contacts et des discussions avec les ambassades. Je ne peux pas imaginer qu'on n'ait pas consulté les ambassadeurs, ne serait-ce que par courtoisie. En tout cas, c'est la moindre des choses qu'exigent les liens d'amitié et de coopération entre ces gouvernements. Mais les Français veulent, in fine, que cette question devienne franco-française. Après, que ces pays continuent à financer des lieux de culte musulmans en France, pourquoi pas ? Pour ne citer que cet exemple, on n'a pas empêché la Russie de financer l'Eglise orthodoxe de Paris. Donc, je ne vois pas pourquoi on refuserait à l'Algérie, au Maroc ou encore à la Turquie de financer des mosquées, à condition évidemment de le faire d'une manière transparente. Et vous alors en tant qu'islamologue et autres intellectuels musulmans français, êtes-vous associés à cette réforme ? Moi, personnellement, non, mais d'autres ont été consultés. D'ailleurs, je ne trouve pas d'inconvénient à demander l'avis de toute personne compétente qui peut contribuer à améliorer le projet de la réforme au-delà de sa nationalité et de sa religion. Dans cet esprit, juste pour illustrer mon propos, Youssef Seddik, philosophe tunisien, et Haïm Korsia, grand rabbin de France, ont été également consultés. Pour prolonger cette question, que répondez-vous à ceux qui disent que les musulmans français sont exclus de la gestion de leur propre religion, particulièrement après la désignation de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation de l'islam de France ? Les musulmans français n'arrivent pas à s'unir et à prendre l'initiative dans ce sens, c'est pourquoi ils sont traités en «mineurs» par l'Etat. Ils n'arrivent pas à s'en affranchir. Contrairement à d'autres institutions comme la Fondation du judaïsme français et la Fondation du protestantisme, créées à titre privé sur les initiatives respectivement des juifs et des protestants de France, la Fondation de l'islam de France est une émanation gouvernementale. Donc, c'est normal que l'Exécutif place à sa tête la personne qu'il veut. Mais il pouvait quand même désigner un musulman français à sa tête, non ? Oui, sur le plan de la symbolique, cela aurait été plus fort. Il s'agit après tout d'une fondation qui s'occupe de l'islam en France sur les plans éducatif, culturel et social. Mais du moment, encore une fois, qu'elle est une institution laïque d'émanation gouvernementale, le choix s'est porté sur Chevènement, désigné pour lancer ce projet et le gérer dans sa période d'initiation la plus cruciale. Le plus important, c'est que cette fondation réussisse et atteigne ses objectifs. Il ne faut pas oublier qu'il y a eu déjà un projet semblable qui a échoué : la Fondation des œuvres de l'islam. Entre 2005 et 2016, elle ne s'est pas réunie ne serait-ce qu'une fois, alors qu'elle avait à sa tête un musulman (en l'occurrence Dalil Boubakeur, actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris, ndlr). En revanche, la nouvelle fondation se réunit, travaille et mène des projets intéressants.