Nidhal Guessoum est un astrophysicien algérien. Il enseigne actuellement à l'American University of Sharjah (AUS) aux Emirats arabes unis. Il a travaillé au Goddard Space Flight Center de la Nasa (Etats-Unis). Il plaide dans ses recherches sur une harmonisation entre la science et la religion islamique. Il est auteur de Réconcilier l'Islam et la science moderne : l'esprit d'Averroès, paru en 2009. Il est à Alger pour participer au colloque international sur « L'islam et les sciences rationnelles entre passé et présent », organisé depuis lundi par le Haut Conseil islamique (HCI). Vous soutenez l'idée de la critique de la théorie de « la miraculisité scientifique dans le Coran » (El I'djaz el ilimi) portée par certains savants musulmans. Pourquoi ? Certaines affirmations et publications disent qu'il y a des vérités scientifiques dans le Coran qui ont devancé les découvertes scientifiques du XXe siècle qui relèvent d'une théorie erronée. Erronée dans sa méthodologie et dans les résultats qu'elle produit. Il faut, à mon avis, trouver un lien entre la connaissance scientifique d'aujourd'hui et la compréhension qu'on peut faire des versets coraniques. Il y a manière de rallier tout cela en prenant pour méthodologie ce que Ibn Rochd, Averroès, nous a appris concernant la philosophie et l'écriture. On peut adapter le programme philosophique d'Ibn Rochd à la relation entre la science moderne et le Coran. On peut à travers cela régler les problèmes conceptuels et pallier au manque de preuves dont souffre la théorie de la « miraculisité scientifique »... Est-il inapproprié de dire qu'évoquer à tort « la miraculisité scientifique » porte atteinte au Coran en tant que texte sacré ? Sans doute. Il y a de l'atteinte au Coran et à l'Islam en ce sens qu'il y a beaucoup d'erreurs dans l'évocation de la théorie de « la miraculisité scientifique ». Cela donne de la matière aux ennemis du Coran. Certains partisans de cette théorie n'ont compris ni le Coran ni la science. Ils ont alors produit des écrits catastrophiques. User de méthodologie fausse ne peut induire qu'à de mauvais résultats. J'appelle ceux qui s'intéressent aux questions scientifiques à maîtriser d'abord la méthodologie scientifique, la philosophie de la science et l'histoire de la science. On ne peut continuer à polémiquer sur l'origine de tel ou tel apport, savoir s'il est grec, indien ou musulman. Certains se basent sur un verset coranique pour proclamer que l'univers va s'élargir avant de s'effondrer. C'est une mauvaise incompréhension, car la science n'a jamais prouvé cette thèse. Aucun universitaire musulman n'a répondu par un livre à l'historien médiéviste français, Sylvain Gouguenheim, qui a écrit Aristote au Mont Saint-Michel : les racines de l'Europe chrétienne, prétendant que l'apport des musulmans en matière de transmission de l'héritage grec était nul. Comment expliquez-vous cette situation ? Certains universitaires musulmans ne sont pas à la page. C'est de « l'incapacité » scientifique et académique. Pas uniquement dans les sciences exactes, mais également dans la philosophie, dans l'histoire, dans les connaissances. Rien n'empêche un professeur d'université de charger un étudiant en magister de faire des recherches pendant une année sur le passage de la pensée d'Averroès vers Montpellier, sur la reprise par l'université de Boulogne des travaux des mathématiciens musulmans qui étaient en Sicile, etc. Cela permet d'établir le cheminement des idées à travers les siècles et répondre d'une manière solide, objective et académique. Or, on ne le fait pas. On se contente de discours faciles au lieu de faire ce travail de lecture du latin, de recherche de manuscrits anciens, etc. Cela n'est-il pas le résultat de la marginalisation « politique » de l'université dans certains pays musulmans et arabes ? Oui. Le niveau des universités dans certains pays arabes et musulmans est médiocre. Ce n'est pas moi qui le dit. Il existe des données objectives, comme le rapport de la Banque mondiale, qui précisent le niveau de production scientifique de toutes les universités. Lorsque l'université, qui est le lieu de la production du savoir, est médiocre en raison de sa gestion, de son organisation et du cursus, il ne faut pas s'étonner que l'on soit incapable de répondre à Sylvain Gouguenheim (...) Le débat est toujours sur la manière de réagir à ce genre d'écrits. Que doit-on écrire et quelles sont les méthodes utilisées ? La faille existe à ce niveau. Nous aimons trop le patrimoine (tourath), nous sommes trop attachés à la nostalgie. Nous sommes tellement impressionnés par ce qui a été fait dans le passé que l'on est incapables de raisonner dans le présent. Non seulement on revient au passé, mais on fait dire au passé ce qu'il n'a pas dit. Il faut parler de ce qui se passe aujourd'hui. Le propos doit être moderne et constructeur du futur. On ne doit plus continuer à jouer sur les fibres sensibles. Comment expliquez-vous le retour de ce que des chercheurs appellent « l'islamophobie savante » ? Autrement dit, pourquoi l'Occident est en train de nous sortir des affirmations « académiques » qui prouveraient que l'Islam n'a pas contribué à la civilisation occidentale sur les plans philosophiques et scientifiques ? Il y a une islamophie liée à des développements politiques, sociologiques, d'immigration et d'autres. Le but est de rabaisser l'Islam et dire que cette religion n'a rien apporté. Selon les partisans de cette thèse, il n'y a pas de continuation entre la civilisation musulmane et la civilisation occidentale. En voulant casser cette continuation, qui a été pourtant établie sur tous les plans, l'Occident se recroqueville sur lui-même. Certains en Occident disent qu'ils n'ont rien à avoir avec les musulmans et qu'il s'agit d'un autre peuple. De l'autre côté, les musulmans se retrouvent dans la réactivité et pensent qu'il n'y a plus manière de dialoguer ou d'avoir une entente avec l'Occident. C'est donc « le choc » des civilisations qui revient. Ce choc est alimenté des deux côtés. En Occident, à travers l'islamophobie savante ou pas. Et dans le monde musulman, à travers la haine envers l'Occident constatée chez certains extrémistes.