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Un patrimoine identitaire en danger
Publié dans El Watan le 12 - 04 - 2018

Chaque région détient une pièce, ou carrément une tenue qui l'identifie et lui procure ce cachet propre à elle. En 2012, l'Algérie a introduit auprès de l'Unesco une demande de classement des traditions nuptiales de la ville de Tlemcen, dont la chedda (tenue de la jeune mariée) au patrimoine immatériel universel.
Si cette demande a bien été accordée, c'est loin d'être le cas pour les autres tenues vestimentaires. Moult tentatives d'expropriation de l'Algérie de plusieurs de ses tenues qui sont au cœur de son identité sont recensées, notamment dans les pays voisins et autres.
Le caftan, une tenue maghrébine
Costume masculin à son origine, le caftan a été introduit dans les pays du Maghreb par les Andalous au temps de l'Empire ottoman.
Féminisée, cette tenue proclamée de force marocaine est en réalité une tenue maghrébine. Comme il est répandu au Maroc, le caftan est bel et bien porté en Algérie comme dans d'autres pays du grand Maghreb tels que la Libye. «Contrairement au Maroc, l'Algérie a fait l'objet d'une campagne de destruction massive des piliers de l'identité algérienne, dont les effets vestimentaires.
Pour que l'Algérie devienne française, il a fallu que les autochtones du pays portent les vêtements français. Pour ce faire, le colonisateur a ravagé tous les ateliers qui regorgeaient d'un savoir-faire extraordinaire, notamment dans la broderie apportée par les Andalous. Aujourd'hui, la mission est très difficile pour nous, les stylistes.
Réconcilier l'Algérien avec ses tenues d'antan en leur donnant une touche moderne tout en gardant leurs vestiges n'est pas une chose aisée, certes, mais pas impossible”, affirme Nacéra Bouzar, fashion designer. Selon elle, le Maroc n'a pas subi de tels ravages et a pu garder le savoir-faire. Chose qui a permis aux designers marocains de promouvoir cette tenue maghrébine à l'international.
Sans oublier que le caftan est devenu tenue officielle marocaine par la volonté suprême du royaume et non pas seulement des stylistes. Après cette appropriation du caftan, certaines voix marocaines s'élèvent aujourd'hui pour proclamer que la blousa oranaise est aussi marocaine. Pourtant, comme son nom l'indique, cette tenue ne peut être qu'oranaise.
Un patrimoine à sauvegarder
En effet, ce n'est pas seulement la blousa qui est menacée, mais tout le patrimoine vestimentaire. Dernièrement, Le grand designer libanais, Ellie Saab, s'est inspiré du karakou algérois pour faire sa dernière collection. «Pour internationaliser le karakou, il faut qu'il soit bien coupé et travaillé au goût de l'international.
Cette pièce algéroise par excellence, telle qu'elle est présentée aujourd'hui par les designers locaux, reste une pièce folklorique et différente des codes de la mode mondiale. Il faut que cette pièce devienne plus épurée, allégée et facile à porter.
En Occident, on n'aime pas les choses surchargées et qui ne sont pas souples et confortables. Si nous n'arrivons pas à internationaliser nos tenues, c'est notre faute à nous et il faut nous rattraper ”, déclare Karim Sifaoui, fashion designer. Nacéra Bouzar, quant à elle, va au-delà des tenues clichés, telles que le karakou. Pour elle, la melhfa est ancrée dans le patrimoine vestimentaire algérien.
Elle en est même une pièce maîtresse. «La melhfa, ou ce que j'appelle '' Takhellalt'' était la base de la tenue berbère dans l'Antiquité et des tenues traditionnelles actuelles. Ce vêtement de femme sans manches, qui s'agrafait avec deux bijoux sur l'épaule, connu également dans l'Antiquité romaine sous le nom de ''péplum'', est resté enraciné dans la tenue berbère.
Aucune civilisation n'a réussi à le remplacer ou à lui apporter de grandes modifications, sauf la civilisation arabo-musulmane, qui lui a ajouté des manches et un savoir-faire andalou en broderie. Ce vêtement était en fait composé de deux pièces : la robe intérieure, qui est un tissu cousu des deux côtés, sans manches, et dans une découpe droite et la fameuse melhfa.
La robe de base, ou ce qu'on appelle la gandoura ou ''taguendourt'', existe jusqu'à nos jours. Le péplum quant à lui a pris de nouvelles formes et surtout de nouveaux motifs. Aujourd'hui, le principe de la melhfa existe dans la majorité des tenues traditionnelles.
Que ce soit le caftan, la robe kabyle, la melhfa chaouie, le tisseghness du Sahara ou encore la gandoura de Constantine, qui d'ailleurs n'a gardé que la gandoura seulement, ils sont tous issus de la même origine qu'est le takhellalt, une tendance de mode méditerranéenne», explique cette styliste et ingénieur dans les industries textiles et habillement.
Pour la promotion de la tenue algérienne
Promouvoir la tenue algérienne est aujourd'hui une nécessité absolue. Cela ne peut se concrétiser que si tous les efforts se conjuguaient. Pour Sabrina Lafer, détentrice de la maison de haute couture Galerie féminine, internationaliser la tenue algérienne nécessite énormément d'argent.
Pour elle, les défilés à l'étranger sont extrêmement coûteux et loin de la portée des stylistes algériens. «Il en est de même pour les défilés au niveau local.
Toutefois, ils restent plus ou moins abordables et nous permettent d'exposer nos produits et de toucher plus de clients», dit-t-elle avant de souligner que le problème aujourd'hui pour la tenue algérienne n'est pas dans la matière première ou dans le savoir-faire, mais dans la visibilité. Une idée que partage Nacéra Bouzar, qui propose même de créer une entité qui regroupe les stylistes et organise des défilés, tant au niveau local qu'à l'international.
Elle a pris comme exemple la Fédération de la haute couture et de la mode en France qui, justement, rassemble toutes les marques de mode en privilégiant la création et le développement international.
Elle vise à promouvoir la culture française de mode, où la haute couture et la création tiennent le premier rôle en se combinant en toutes circonstances au savoir-faire traditionnel et aux technologies contemporaines. Une entité pareille en Algérie ne sera que bénéfique.


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