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Pour un statut des journalistes
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2005

Depuis l'adoption, le 19 mars 1990, de la loi sur la presse par les députés de l'Assemblée populaire nationale, la corporation des journalistes, qui s'est opposée farouchement au terrorisme islamiste et qui a pu résister jusqu'à présent aux harcèlements administratifs et judiciaires, n'a pas réussi à se mobiliser afin de faire adopter un statut définissant ses droits et obligations à l'égard de ses employeurs, en particulier, et à l'égard de la société, en général.
Curieux paradoxe, en effet, que celui d'une profession qui disposait d'un statut spécifique définissant le régime social et les relations de travail au sein des entreprises de presse (ordonnance du 9 septembre 1968) et d'une grille nationale des salaires organisant les plans de carrière (circulaire du 5 avril 1973) qui n'arrive même pas, aujourd'hui, à compter les siens ! 27 000 ? 3000 ? Le nombre de journalistes n'est pas connu avec exactitude ; le dernier recensement remonte au 31 décembre 1991 lorsque la commission de l'organisation professionnelle du Conseil supérieur de l'information (CSI) avait délivré, à titre transitoire, quelque 1406 cartes sur les 1488 dossiers déposés. La décision du CSI du 7 avril 1991 prévoyait l'installation d'une véritable commission paritaire composée de six journalistes élus (et de deux suppléants) et de six éditeurs (et de deux suppléants) élus ou désignés par les directeurs des entreprises de presse (agence de presse, publication et radio-télévision). Cette commission devait être présidée, tous les six mois, soit par un représentant des journalistes, soit par un représentant des éditeurs. Le représentant du CSI qui assiste aux réunions ne fait qu'assurer le secrétariat de la commission. Il ne participe pas au vote. On comprend mieux, aujourd'hui, à la lecture des différents projets de lois sur la presse qui prévoient le retour des représentants de l'administration au niveau de la commission de la carte pourquoi le CSI, qui ne jouissait pourtant que d'un rôle consultatif, a été dissous le 26 novembre 1993. La dissolution du CSI a permis aussi aux gouvernants de geler l'application de l'article 14 de la loi de 1990 qui permettait à tout citoyen, à tout parti politique et à toute entreprise de presse de lancer un journal en déposant seulement un dossier d'agrément auprès du tribunal territorialement compétent. Le récépissé était délivré sur-le-champ avec un simple avis du CSI pour les publications publiées en langue étrangère. Depuis l'instauration de l'état d'urgence, on peut attendre durant des années ce récépissé, car il faut l'accord du ministère de la Justice et celui du ministère de l'Information. La loi de 1990 a donc été amputée de ces deux dispositions les plus positives (l'art. 14 et les articles relatifs au CSI). Au moment où on parle de l'adoption d'une nouvelle loi sur la presse, il est utile de se pencher sur le statut du journaliste en Algérie, surtout que le syndicat autonome, le SNJ, né le 4 juin 1998, n'a pas réussi à mobiliser les journalistes autour de cette question qui était inscrite dans son programme d'action au même titre que la convention collective et la charte de l'éthique. Seule la charte de l'éthique a été adoptée par les journalistes le 13 avril 2000. 1 - Le statut de 1968 : une initiative formidable de Mohamed-Seddik Benyahia, mais dans le cadre étroit du parti unique. Si on met de côté les articles 2 et 5 qui définissent le journaliste militant dans le cadre étroit du parti unique et l'article 22 qui précise que la commission de la carte est composée de 6 représentants de l'administration et de 2 représentants d'une union officielle des journalistes, on est frappés par la modernité des dispositions, parfois très positives, de l'ordonnance du 9 septembre 1968. En effet, l'aticle 3 précise que les agents de publicité ne peuvent être considérés comme des journalistes. L'article 6 permet aux journalistes de publier des ouvrages scientifiques, littéraires ou artistiques et de collaborer avec d'autres organes de presse à condition de demander l'autorisation de son employeur. L'art. 11 accorde 15 jours de congé supplémentaires afin de récupérer les heures de travail effectuées durant les week-ends et les jours fériés. L'art. 17 limite à 6 mois la période de stage pour les diplômés de journalisme, alors que les autres stagiaires doivent attendre deux années pour être titularisés. L'art. 18 précise que la commission paritaire (4 responsables et 4 journalistes) qui décide l'avancement des carrières se réunit une fois par an. L'art. 20 prévoit, en cas de licenciement, 1 mois de salaire pour les journalistes ayant 1 à 3 ans d'ancienneté et 3 mois de salaires pour ceux ayant plus de 3 années d'ancienneté. L'employeur doit verser en plus 50% du salaire en fonction des années d'ancienneté. Cette disposition peut être considérée comme une application de la clause de conscience avant la lettre. L'art. 22 prévoyait déjà une assurance spéciale pour les missions risquées avec une garantie de 6 mois de salaire et une assurance de 100% en cas de décès ou d'invalidité. L'art. 24 prévoit, en plus du congé annuel et des 15 jours dits « divers », 2 mois de congé pour le recyclage et les stages. Ces dispositions positives n'ont pas toujours été appliquées par des directeurs-fonctionnaires nommés par décret. Même les rédacteurs en chef, leurs adjoints et le secrétaires généraux de rédaction sont nommés par un arrêté du ministère de l'Information (art. 14). L'art. 2 mentionne clairement que la profession de journaliste ne peut être envisagée en dehors des publications relevant du parti et du gouvernement. La définition du journaliste qui fait de son activité « une profession unique, régulière et rétribuée » peut être comparée aux définitions des journalistes dans les pays libéraux, surtout qu'elle intègre les photographes, les dessinateurs, les rédacteurs-traducteurs, les rédacteurs-speakers... Mais le statut de 1968 est totalement dépassé depuis la naissance de la presse privée en 1990.
La circulaire du 5 avril 1973 : un acquis pour les journalistes
Après le départ de Mohamed Seddik Benyahia du ministère de l'Information en juillet 1970, la commission de classement de journalistes professionnels instituée par l'arrêté du 20 janvier 1969 a dû attendre plus de trois années pour disposer de critères bien définis lui permettant de procéder au reclassement de journalistes. En effet, la décision du 5 avril 1973 peut être comparée à une convention collective parce qu'elle définit avec précision des plans de carrière des journalistes (5 niveaux pour la presse écrite et parlée et 3 niveaux pour la presse filmée), le régime général (assurance, congés, retraite) et les indemnités spécifiques à la profession. L'apport le plus positif concerne le classement des journalistes : L'article 3 situe, avec précision, les catégories professionnelles selon cinq niveaux : Le niveau 1 comprend les rédacteurs en chef, les rédacteurs en chef spécialisés et les collaborateurs techniques. Le niveau 2 comprend les rédacteurs en chef adjoints, les secrétaires généraux de rédaction, les grands reporters, les éditorialistes et les chefs d'enquête. Le niveau 3 comprend les secrétaire de rédaction, les chefs de rubrique et de section et les commentateurs spécialisés. Le niveau 4 comprend les rédacteurs spécialisés, les reporters, les reporters-présentateurs, les reporters-speakers, les reporters-traducteurs appartenant à la première catégorie et enfin les chefs documentalistes de presse. Le niveau 5 comprend les rédacteurs et documentalistes de presse et les speakers, les présentateurs, les traducteurs appartenant à la deuxième catégorie. Pour la presse filmée, le niveau 1 comprend les chefs opérateurs, les directeurs de photo et les dessinateurs de presse. Le niveau 2 comprend le reporter cameraman et le reporter photo première catégorie. Le niveau 3 comprend l'assistant cameraman et le reporter photo deuxième catégorie. Lorsqu'on compare cette classification à celle de la convention collective type établie par la Fédération internationale des journalistes (FIJ) lors de la tenue du 19 congrès, en juin 1988 à Maastricht, il y a lieu d'être satisfait par les précisions contenues dans la circulaire de 1973. La grille de la FIJ comprend 5 niveaux pour la presse écrite parlée et filmée. Elle pose une condition importante : le pourcentage des journalistes de niveau 5 ne doit pas dépasser 15% des effectifs. Cette disposition serait la bienvenue, aujourd'hui, en Algérie, parce que de nombreux petits journaux fonctionnent avec à peine une dizaine de journalistes permanents. Le gros des effectifs est composé de journalistes pigistes ne disposant pas de contrats de travail. Ces journalistes n'ont donc pas droit à la carte professionnelle. Il faut mentionner également que la décision de 1973 accorde un treizième mois de salaire à l'ensemble des journalistes et qu'elle définit les congés de maladie et de maternité. Il faut dire toutefois que cette grille des salaires ne tient pas compte suffisamment de la compétence des journalistes. En effet, un journaliste compétent arrive en fin de de sa carrière après 18 ans de service, alors qu'un journaliste médiocre peut y arriver après 25 ans de service. Il y a, par ailleurs, une confusion entre le grade et la fonction puisqu'un rédacteur en chef spécialisé peut atteindre le sommet de la carrière journalistique après seulement 13 années de service ! Il faut dire enfin que la commission des salaires a fonctionné sérieusement durant une dizaine d'années. Ce n'est pas après les évènements d'octobre que le Mouvement des journalistes algériens (MJA) a imposé l'installation de structures de concertation (prévues par l'article 7 de la loi de 1982) qui ont actualisé, à partir de 1989, les dossiers de reclassement des journalistes. Depuis la publication de la loi de 1990, les entreprises publiques ne procèdent pas régulièrement au reclassement des journalistes. Quant à la presse privée, seuls les quotidiens « Liberté » et « El Watan » disposent d'un plan de carrière propre à leurs entreprises. 3 - La loi de 1990 : une définition incomplète du journaliste, mais une conception démocratique de la commission de la carte si le CSI n'avait pas été dissous en 1993. L'article 28 de la loi de 1990 se contente de dire que le journaliste professionnel se consacre à « la recherche, la collecte, la sélection, l'exploitation et la présentation d'information et fait de cette activité sa profession régulière et sa principale source de revenus ». L'article 29 indique que les contributions occasionnelles seront fixées par le CSI. Ces conditions ont, en effet, été fixées par la décision du CSI du 8 octobre 1991, mais cette directive ne concerne que les quelque 1000 journalistes qui travaillent dans le secteur public. Pour les deux tiers des journalistes algériens, c'est-à-dire l'ensemble de la presse privée, aucun texte ne précise les modalités de collaboration occasionnelle d'un journaliste salarié ! Aucun article ne mentionne les droits d'auteurs de journalistes. Les droits d'auteurs sont mentionnés de façon indirecte par l'article 47 de l'ordonnance du 19 juillet 2003 relative aux droits d'auteurs : « Les nouvelles du jour, les faits d'actualité qui ont le caractère strict d'information peuvent être librement utilisés. » « Est considérée licite, sans autorisation de l'auteur ni rémunération, mais sous réserve d'indiquer la source et le nom de l'auteur, la reproduction ou la communication au public par tout organe d'information d'articles d'actualité diffusés par la presse écrite ou audiovisuelle, sauf mention express d'interdiction d'utilisation à de telles fins. » Cette disposition est en contradiction avec les revendications des journalistes qui ont fini par faire admettre les droits patrimoniaux relatifs aux utilisations secondaires de leurs articles reportages et enquêtes. Seuls les pays anglo-saxons, qui adoptent le système du copyright, ne reconnaissent pas ces droits. Par ailleurs, il faut reconnaître cependant que la loi de 1990 mentionne, pour la première fois en Algérie, la clause de conscience (art. 34) qui représente un grand acquis pour la profession. Cette dernière aurait bénéficié d'un autre acquis si les gouvernants n'avaient pas dissous le CSI, qui venait de décider l'institution d'une véritable commission paritaire de la carte professionnelle. 4 - Les projets de loi sur la presse : des revirements en vue de contrôler la liberté de la presse. Parmi les nombreux avant-projets de lois sur la presse (ceux de mars 1991, mars 1998, projet publié par le quotidien « El Youm » du 27 janvier 2001 et le projet diffusé sur internet en octobre 2002), c'est le dernier projet proposé qui a soulevé un tollé général dans le monde de la presse. Ce projet remettait en cause les acquis les plus importants de la loi de 1990. En effet, l'autorisation de publication d'un journal était soumise à l'administration. Chose plus grave : si la réponse n'est pas donnée dans le mois qui suit la date du dépôt, la réponse est considérée comme un refus ! Face à l'opposition des journalistes, la ministre Khalida Toumi a corrigé sa copie et a repris presque intégralement les dispositions de l'article 14 de la loi de 1990. En revanche, la composition de la commission de la carte professionnelle ne fait pas de cette dernière une commission paritaire. La composition prévue par le projet initial renvoie au modèle du parti unique :
4 représentants de ministères (!) : Information, Justice, Intérieur et Travail.
4 représentants des éditeurs (2 de la presse écrite et 2 de l'audivisuel public).
2 journalistes représentant les associations agréées et 1 journaliste membre du conseil de l'éthique. La deuxième formule n'est pas acceptable non plus puisque l'article 59 indique que cette commission est présidée par un magistrat (!) désigné par le Conseil national de la magistrature.
3 représentants des ministères : Information, Intérieur et Travail.
2 journalistes (un de la presse écrite et un du secteur public audiovisuel).
1 seul représentant des éditeurs.
1 représentant des services audiovisuels. Quel recul par rapport à la commission paritaire prévue par la décision du CSI du 7 avril 1991 ! Parmi les aspects positifs retenus dans la version du 3 mai 2003 en plus des articles 14, 34 (clause de conscience) et 37 (droit au secret professionnel) de la loi de 1990 qui ont été maintenus, il faut signaler :
l'article 68 qui mentionne pour la première fois les droits moraux et patrimoniaux des journalistes, y compris l'utilisation secondaire des articles publiés par les journaux ;
l'article 73 qui oblige tout employeur à souscrire une assurance en cas de risque (guerre, épidémies, catastrophes...) ;
l'article 79 qui pour la première fois fait état des preuves du fait diffamatoire à condition, bien sûr, de ne pas toucher à la vie privée et de respecter le délai de prescription en tenant compte de la réhabilitation ;
l'article 78 interdit toute détention provisoire et inscription sur le casier judiciaire pour les infractions commises par voie de presse ;
l'article 80 précise que l'action publique ou l'action civile sont prescrites 3 mois après la publication. Lorsqu'on sait que des pouvoirs ont fait ressortir des affaires remontant à une dizaine d'années, on constate que la durée de 3 années appliquée par la justice algérienne n'est conforme ni aux lois modernes ni à la réalité. En conclusion, on peut dire que l'adoption d'un statut ne peut se faire sans la pression des journalistes. Il faudrait que les différents syndicats et associations constituent une fédération capable de regrouper toutes les forces afin de tenir compte des revendications de l'ensemble des journalistes. Les journalistes vont-ils exploiter le sondage qui va être réalisé, en 2005, par le bureau de la FIJ, à Alger, pour remettre sur le tapis ce dossier complexe qui doit être étudié avec le concours du ministère du Travail, car les dispositions du statut spécifique doivent être conformes aux dispositions du statut général du travailleur ?


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