Khaled Nezzar a conçu son livre intitulé Sur le front égyptien-la 2e brigade portée algérienne 1968-1969 (1), comme une toile documentaire, comme une sorte de recherche ou même d'enquête historique. Son ouvrage nous apparaît d'abord comme un document, comme le récit impartial de tous ces Algériens (officiers, sous-officiers et soldats), envoyés au Moyen-Orient pour une « autre guerre », juste après cette « atroce guerre » menée par la majorité d' entre eux pour libérer leur pays, l'Algérie, du joug colonial. Mais, comme disait Albert Schweitzer : « Celui qui a surmonté la souffrance n'a pas le droit de penser qu'il est libre et qu'il peut vivre de nouveau comme avant. Maintenant qu'il sait ce que c'est que la souffrance et la peur, il doit aider à lutter contre la souffrance et la peur », ils sont partis, tout en pensant qu'ils vont aider leurs frères. Ils étaient convaincus par les idéaux de cette révolution algérienne qui a secoué le monde entier. « L'Algérie sortait à peine d'une guerre longue et dévastatrice, lorsqu'elle décida de s'engager résolument aux côtés de ses frères arabes (…). Cet engagement précoce en faveur de la cause arabe était pour l'Algérie une occasion de marquer sa solidarité vis-à-vis d'une région à laquelle elle n'a jamais cessé de proclamer son appartenance et son attachement. » (p.23). Khaled Nezzar ne cite que rarement des documents imprimés(2). Il s'est efforcé de s'en tenir exclusivement aux faits authentiques, tout en reconnaissant, côté argent alloué aux pays arabes en guerre contre Israël, que « seul le ministère des Finances algérien serait en mesure de divulguer les sommes exactes attribuées aux différentes parties arabes » (p.130). Nezzar cite aussi en cette page 130 le nombre d'Algériens morts sur le front égyptien. Ils sont 117, mais il reconnaît que le nombre des blessés n'a pas été comptabilisé. D'après les dires de deux moudjahidine que j'ai connus dans les années 1970 : « il y avait au moins une centaine de blessés. » Les deux moudjahidine, qui ont participé à « la guerre d'usure », ont été blessés en 1969. Certes, les morts égyptiens ne se comptaient pas. Mais des chiffres cités par Khaled Nezzar ressortent cette vérité amère : rendant visite à la compagnie du sous-lieutenant Rezki, toute proche de 2 bataillons égyptiens qui ont été bombardés par 2 avions israéliens et ont subi des pertes énormes en vies humaines, le commandant Khaled Nezzar découvre que les Algériens ont eu la vie sauve grâce à une casemate en préfabriqué bien aménagée dans une profonde tranchée. Rezki avoua à Nezzar qu'il avait acheté le matériel de la casemate à l'un des officiers commandant l'une des batteries égyptiennes ,où le carnage a eu lieu. Khaled Nezzar commente l'action du sous-lieutenant Rezki ainsi : « J'en étais tout retourné, pensant en mon for intérieur : d'un côté, un officier qui met la main à la poche pour abriter ses hommes, et de l'autre… » Les trois points de suspension veulent tout dire ! Khaled Nezzar a vu des situations pires que celle-ci. son livre est en effet une mosaïque composée de l'héroïsme de ces Algériens qui ont donné les plus belles années de leur jeunesse à une « cause arabe » empoisonnée. 117 d'entre eux sont « revenus » dans des cercueils « maltraités » et transportés d'une « manière irrespectueuse et incongrue » (p.58). A la fois témoignage et hymne à tous ces Algériens du front égyptien, le livre de Khaled Nezzar est le premier ouvrage dans son genre. Espérons que d'autres Algériens suivront le chemin de Nezzar pour dire « la vérité », même si elle est déplaisante dans sa nudité. 1) Editions Alpha-Alger 2010. 2) Les documents cités en annexe sont surtout des chiffres des archives du ministère algérien de la Défense.