L'informel n'est pas que dans l'économie, il est fondamentalement politique. Il est à l'origine du blocage de toute tentative de réforme politique pouvant mener vers une démocratisation de l'Etat et de la société. Tel est le constat établi par le politologue britannique Hugh Roberts, hier, lors de son intervention aux débats mensuels d'El Watan organisés à l'hôtel Safir, à Alger. M. Hugh, éminent spécialiste de l'Algérie, venu débattre du « Problème des institutions en Algérie : pour une philosophie des réformes », a jugé de prime abord que « les tentatives de réforme entreprises en Algérie à partir de 1990 ont eu des résultats décevants ». Le conférencier a expliqué cet échec par « l'hégémonie du secteur informel sur le secteur formel dans le système politique algérien. Ce rapport entre l'informel et le formel est la source fondamentale de l'échec des réformes ». Pour lui, pour mieux conduire des réformes politiques, il est nécessaire d'inverser cette tendance. « Etant donné qu'il est quasiment impossible d'éliminer le secteur informel des sphères politiques, car il est utile, il s'agit donc de trouver un bon moyen de réussir l'équilibre. La bonne conduite des réformes oblige que le secteur informel soit le complément du formel au lieu de le court-circuiter », a-t-il soutenu. Mais quels sont les secteurs informels ? Si le conférencier ne se hasarde pas à nommer ceux qui, au sein du système, agissent en dehors des institutions sous prétexte de favoriser une réflexion politique ; l'assistance, quant à elle, préfère user d'un style direct en tirant de l'anonymat ces acteurs politiques informels. Et c'est le modérateur des Débats, Mohammed Hachemaoui, qui tranche avec une question : « Il y a comme une sorte de tension dans cette dualité informel-formel que vous avancez dans votre propos. Ne s'agit-il pas de la prépondérance de la police politique et des services qui échappe à tout contrôle des institutions ? » « Sans doute », chuchote l'assistance. Une idée soutenue dans la salle. Ce qui fait dire à un intervenant, Mourad Ouchichi, professeur d'économie à l'université de Béjaïa, que « ce dédoublement entre informel et formel montre à quel point le pouvoir réel est exercé par le secteur informel au sein de l'Etat et que le formel se trouve, du coup, dépourvu de son autorité et de son pouvoir ». Il a estimé que la possibilité de s'assurer de la réussite des réformes passe par « la mise sous l'autorité civile de toutes les institutions, y compris militaire ». Très prudent dans sa réponse, Hugh Roberts, ancien directeur du projet Afrique du Nord de l'influent International Crisis Group, a jugé trop risqué de s'avancer sur ce débat « si on ne s'impose pas une certaine limite ». « Tout Etat a besoin d'une armée et des services. Le problème n'est pas dans leur existence mais dans le rôle qu'ils jouent dans la vie politique. On a manifestement du respect pour l'armée, même si on est contre certains choix qu'elle avait effectués à un moment donné », a-t-il tenu à préciser. Il a, par ailleurs, plaidé en faveur de l'idée de « convaincre l'armée – toute en faisant la distinction entre l'institution militaire et les individus – de la nécessité d'évoluer dans le sens qui permet à la société de reprendre ses droits. Il y va de son intérêt. C'est un élément-clé de la réussite des réformes qui ne devraient pas affaiblir l'Etat, bien au contraire ». « La responsabilité incombe aux partis aussi… » L'omnipotence du secteur informel dans la sphère politique n'est pas le seul obstacle qui a rendu « impossibles » les réformes entamées par l'Algérie au lendemain d'Octobre 1988, a fait savoir Hugh Roberts. Il fait porter le chapeau de l'échec de la transition vers la démocratie aux partis politiques et même à la société. Il a soutenu que « la société n'était pas préparée aux réformes ; il y avait de la précipitation ». Une idée que récuse l'assistance. M. Hachemaoui a parlé de « supposée impréparation de la société ». Quant aux forces politiques organisées, « elles n'étaient pas capables de faire des propositions pouvant permettre un changement stratégique. Elles sont restées au stade de la revendication. Cela est lié à la nature même de ces partis ». « Nous avons assisté, à partir de 1989, chez les courants politiques de l'opposition, à la réactivation des traditions d'activisme revendicatif qu'a connue l'Algérie au début du XXe siècle. » Hugh Roberts aurait souhaité voir les partis politiques « travailler à transformer la conscience sociale. C'est là un des modèles que devaient réactiver les forces politiques en présence ». Un jugement sévère pour une assistance en partie composée de militants et d'anciens dirigeants politiques. Un des intervenants a répliqué, en soulignant les différentes propositions faites par les partis et les personnalités politiques : « Seulement ces partis sont étouffés par un pouvoir autoritaire. » Réplique pour réplique, Hugh Roberts a jugé les propositions faites par l'opposition – Contrat de Rome, Mémorandum du FFS en 2001, entre autres – « manquent de réalisme, indépendamment de leurs origines ». Vingt ans après l'avortement des réformes engagées par le gouvernement Hamrouche, faut-il encore parler encore de réformes ? Sans doute, a appuyé le conférencier. « Il va falloir revenir aux réformes. L'Etat doit tenir compte des exigences de la société. Elles sont inéluctables. Il y va de la préservation de l'Etat et de l'épanouissement de la société. Malgré tout ce qui s'est passé, l'Algérie a plus de chances que tout autre pays de parvenir à une vie politique démocratique. Tous les éléments sont réunis, il suffit de les ordonner. » Une touche d'espoir, mais Hugh Roberts a conseillé la patience et la réflexion.