Beaucoup de personnes ont battu le pavé pour la première fois de leur vie, hier à Oran. Hier, lors de l'acte III de «la révolution joyeuse», les Oranais ont apporté une réponse cinglante à la lettre attribuée à Abdelaziz Bouteflika dimanche dernier, où il était question d'élections anticipées en cas de victoire, auxquelles il ne se présenterait pas : «Non, non et trois fois non !» Ils étaient en effet des centaines de milliers, voire un million de personnes à avoir manifesté dans les rues de la capitale de l'Ouest, en ce vendredi 8 mars 2019, non seulement contre le 5e mandat du président Bouteflika, mais pour le départ de tout le régime en place. Comme à chaque fois, l'ambiance se voulait festive et bon enfant, et on pouvait compter, cette fois-ci, autant de manifestantes que de manifestants. Beaucoup de personnes, complètement dépolitisées, ont battu le pavé pour la première fois de leur vie, hier à Oran, et ont été ébahies par l'organisation impeccable des manifestants, qui marchaient joyeusement et sereinement, sans aucune violence, ni agression, physique ou verbale. Au contraire, les gens étaient de bonne humeur et s'ingéniaient à trouver des bons mots, des slogans pas piqués des vers à l'encontre des dirigeants dont ils veulent le départ. Il faut admettre que certains slogans étaient à se tordre de rire : «Pouvoir dégage, dir chouia courage, rak kbir f'lâge», «Il n'y a que Chanel pour faire le n°5», «5e mandat ? Il est fou Ouyahiou il est fou !», «Marre des 5 nuances de Aziz», «FLN, blastek machi hna !», «Soif de pouvoir = fracture de la mâchoire.» Faisant référence à un célèbre slogan qui prévalait en France durant les années 1980 pour lutter contre le racisme, une manifestante arborait fièrement une pancarte où on pouvait voir une main jaune dans laquelle était écrite : «Touche pas à ma mère patrie.» D'autres femmes affichaient fièrement la photo de Djamila Bouhired, alors qu'un jeune homme, la vingtaine à peine, avait une affiche où était écrit : «Nous sommes les dignes filles et fils de Larbi Ben M'hidi, non au 5e mandat.» Les manifestants se sont donné rendez-vous à la place du 1er Novembre 1954 pour marcher jusqu'à la wilaya, puis vers le siège de l'ENTV, mais vu tant d'engouement de la population, toutes les artères étaient saturées de monde, au point que les manifestants débordaient sur les petites ruelles. Si d'aventure, quelqu'un optait pour un chemin de traverse pour dépasser une vague de manifestants, il trouvait celui-ci bondé. Le cortège ne cessait de grossir et se massifier tout le long de la rue Larbi Ben M'hidi, au point que ceux qui arrivaient au siège à la wilaya croisaient en chemin les autres qui étaient déjà de retour vers la place du 1er Novembre. «Aujourd'hui, j'ai vu des femmes et des hommes, main dans la main, marcher ensemble, unis pour la nouvelle Algérie. Des gens joyeux et souriants, qui chantaient et dansaient, et plus que jamais déterminés à faire dégager ce pouvoir de corrompus. Si pendant longtemps, j'étais fataliste, complètement blasé et désabusé par le sort du pays, il faut dire qu'aujourd'hui, je renais», nous raconte un manifestant. En un mot, on peut dire que la journée du 8 Mars de l'année 2018 a été historique à plus d'un titre, et gageons qu'elle aura une place de choix dans l'Algérie de demain !