S'il fallait une nouvelle preuve que les Algériens sont nombreux et le seront encore de plus en plus à «invalider» la candidature de Bouteflika et dans son sillage à jeter au rebus de l'histoire le système en place, elle a été une nouvelle fois fournie hier de manière éclatante par les millions de manifestants qui ont marché à travers l'ensemble du pays. La manifestation d'hier a coincidé avec la célébration de la journée du 8 Mars que le pouvoir a toujours instrumentalisée via son organisation féminine l'UNFA (Union nationale des femmes algériennes) devenue une coquille vide. La veille, quelques femmes triées sur le volet, des représentantes d'organisations et du mouvement associatif inféodés au pouvoir, étaient conviées à célébrer cette Journée autour d'un repas en présence de membres du gouvernement et de personnalités officielles. Les images retransmises par la télévision nationale montraient des visages fermés de femmes mal à l'aise, fuyantes face à la caméra. On se serait cru dans une cérémonie funéraire ! Autre décor, autre message : hier, les femmes de tout âge, qui étaient présentes à parité égale aux côtés des hommes, peut-être en plus grand nombre, avaient l'allure fière, le visage rayonnant et la joie retrouvée dans les cœurs dans ce formidable élan de communion intergénérationnelle, de femmes et d'hommes marchant côte à côte dans la fraternité, le respect et l'amour partagés pour le pays. Depuis l'indépendance, on n'a jamais vu autant de drapeaux brandis fièrement et spontanément par les Algériens dans les carrés des manifestants et aux balcons des immeubles. De quoi rendre jaloux le ministre de la Culture, M. Mihoubi, avec son opération ratée de distribution d'un million de drapeaux à l'occasion de l'anniversaire du 1er Novembre que l'on n'a pas retrouvés accrochés à nos balcons. Les images d'hier se passent de tout commentaire : il y avait la mobilisation des grands jours, l'Algérie plurielle, le révéil du sentiment national mis en berne par des années de viol des consciences et de dépersonnalisation, une leçon magistrale de l'exercice de la citoyenneté. Aucune fausse note, aucun incident n'est venu émailler cette autre journée historique qui entre dans l'histoire contemporaine du pays. Que faut-il de plus au pouvoir pour aller dans le sens de la volonté populaire qui s'est massivement exprimée, dans le calme et avec un haut sens de responsabilité et de patriotisme pour un changement profond ici et maintenant ? La posture du déni qui a toujours caractérisé le pouvoir et ses affidés et qui consiste à minimiser la portée de ce mouvement populaire pour ne pas semer le doute dans son camp, et envoyer à l'étranger une image d'un régime finissant, à terre, ne dupe plus personne. Il n'y a d'aveugle que celui qui ne veut pas voir la réalité, comme le député Barbacha du MPA, le parti d'Amara Benyounès qui ne craint pas le ridicule, en déclarant que 90% des Algériens n'adhèrent pas aux slogans des manifestants. Les manifestations grandioses d'hier ont prouvé le contraire. Le pouvoir va-t-il enfin tirer les enseignements qui s'imposent en enclenchant une transition en douceur pour apaiser les esprits en plaçant l'intérêt suprême du pays au-dessus des intérêts de castes ? Jusqu'ici et alors que le mouvement de contestation entame sa troisième semaine, la rue a donné tous les gages de sa volonté de ne servir que l'Algérie et rien que l'Algérie . En s'interdisant le recours à la violence et en préservant la sécurité des biens et des personnes, en rassurant les tenants du pouvoir sur la transition tranquille envisagée, dépourvue de toute empreinte des révolutions des Printemps arabes, en rejetant l'ingérence étrangère, en rassemblant les Algériens autour d'un projet de société novateur inspiré enfin des valeurs de Novembre reniées par le pouvoir depuis l'indépendance à nos jours. Les millions d'Algériens qui sont sortis hier encore ne peuvent pas se suffire longtemps de cette seule concession de manifester arrachée au pouvoir. Caresser les manifestants dans le sens du poil en louant leur civisme, tenter de récupérer les revendications de la rue en faisant croire que le président Bouteflika les a fait siennes dans la conférence nationale qu'il propose, miser sur l'essoufflement du mouvement – une thèse démentie une fois de plus hier avec éclat – ne sont que des faux-fuyants qui auront certainement des réponses graduées des Algériens dans les prochains jours. Ce 8 mars a été célébré sous le signe de la grandeur d'un peuple et de la décadence d'un pouvoir qui ne veut pas lâcher prise.