N'était l'apparition de l'emblème national que l'on a déployé sur les principales artères de nos villes et aux frontons des édifices publics rien, absolument rien n'indiquait à la veille de la célébration de l'anniversaire du 1er Novembre 1954 que le pays s'apprêtait à fêter une date historique qui a permis au peuple algérien de se libérer du joug colonial. La célébration de 1er novembre et des autres dates historiques comme le 5 juillet est devenue depuis plusieurs années déjà l'affaire exclusive des institutions officielles. Ce n'est plus une affaire citoyenne, cette fête populaire qui permettait, les premières années de l'indépendance, au peuple algérien, toutes générations confondues, habitants des villes et des campagnes, de communier dans un même élan patriotique avec la Révolution de Novembre et ses valeurs. Tout enfant, on se souvient encore de cette ferveur révolutionnaire qui nous habitait spontanément chaque fois que l'on célébrait l'anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale et la fête de l'indépendance. La joie était déjà dans les foyers et les cœurs avant d'investir la rue. L'emblème national soigneusement repassé est déployé fièrement sur les balcons des maisons. Le drapeau faisait partie des choses sacrées dont aucune famille ne pouvait se passer, non pas sous l'effet d'une quelconque contrainte mais en tant que symbole de l'attachement à cette Révolution. Les enfants coiffés de leurs calottes aux couleurs de l'emblème national étaient tout excités de s'identifier aux moudjahidine avec ce fichu sur la tête que portaient les maquisards. On pouvait entonner sans fausse note l'hymne national et toute la litanie des chants patriotiques. Au-delà des festivités officielles avec le dépôt traditionnel des gerbes de fleurs dans les carrés des martyrs, il y avait une multitude d'initiatives émanant aussi bien des institutions que du mouvement associatif qui concourraient à célébrer avec éclat et dignement cet événement. Les kasmas Fln s'illuminaient de mille feux et se transformaient à l'occasion en musée du moudjahid à l'échelle locale, rivalisant dans la diffusion des chants révolutionnaires. Les cantonnements militaires se mettaient eux aussi de la partie en diffusant des chants patriotiques. perpétuer la flamme de Novembre Des conférences-débats sur la guerre de Libération nationale, animées par des historiens et des moudjahidine, sont organisées un peu partout. Les établissements scolaires contribuaient eux aussi à travers des programmes pédagogiques et des activités spécifiques liés à l'événement à perpétuer la flamme de Novembre. Des cérémonies de baptisation de rues et de places publiques aux noms de martyrs ainsi que de remise de médailles étaient également une tradition bien établie. Nos intellectuels -historiens, cinéastes, hommes de théâtre...- s'investissaient chacun dans son domaine pour être au rendez-vous de cet événement en signant de nouvelles œuvres. On peut penser ce que l'on peut sur l'objectivité historique de ce qui a été réalisé et qui l'a été dans un contexte politique bien déterminé, mais il faut reconnaître au moins le mérite à cette production d'avoir existé. Que reste-t-il aujourd'hui de tout cela ? Peu de choses pour ne pas dire rien. Les dates anniversaires sont célébrées dans l'indifférence totale. Les commémorations se réduisent depuis ces dernières années aux activités protocolaires organisées au niveau national et local à l'image de la traditionnelle réception organisée par le président de la République où il reçoit les félicitations des hauts responsables de l'Etat, civils et militaires, de représentants de la société civile triés sur le volet, du corps diplomatique ainsi que des personnalités. Les citoyens pour leur part sont invités à suivre cette cérémonie à partir de leur écran de télévision. Ceux qui s'intéressent à la chose politique et aux bruissements du sérail se sont précipités pour se brancher avec bonheur sur l'Entv pour suivre cette cérémonie et faire leur propre lecture sur l'état du système à travers l'analyse des invités présents au Palais du peuple, les faits et gestes qui auront marqué cette soirée. La seule manière d'éviter d'entretenir la confusion dans les esprits, c'est d'ouvrir les portes du Palais du peuple aux citoyens à l'occasion des dates anniversaires comme le font certains chefs d'Etat étrangers, notamment Jacques Chirac qui ouvre le Palais de l'Elysée aux Français à l'occasion du 14 juillet. Ce sera une occasion pour le chef de l'Etat de commémorer Novembre et les autres dates historiques phares dans la communion avec son peuple. Le Palais du peuple méritera alors pleinement son nom. L'indifférence dans laquelle nous célébrons nos dates historiques est le résultat de l'échec des politiques suivies jusqu'ici par les gouvernements successifs. Echec de l'éducation qui n'a pas inculqué à nos enfants de manière intelligente l'histoire de la Révolution et les valeurs de Novembre. Echec aussi des politiques de développement qui ont étiolé la fibre patriotique et nationaliste de nombreux citoyens qui en veulent au pouvoir, censé être le garant de l'indépendance, de les avoir privés des fruits de cette indépendance.