Au début de l'année 2009, nous quittait Jean Carbonare, un des amis qui ont pris fait et cause pour la lutte des Algériens pour la dignité dans l'immigration avant la guerre de Libération nationale, puis dans les années de feu et enfin, durant les premières années d'indépendance. Lyon De notre correspondant Une période difficile, active, solidaire, dont hélas la mort entraîne à jamais les secrets dans l'oubli. Heureusement, ces dernières années, les compagnons de Jean lui avaient demandé de retranscrire cette épopée, pour la léguer à la postérité et laisser une marque de cette histoire mouvementée d'un homme dans le XXe siècle. Il consentit à cette ultime tâche. Depuis son départ, son épouse, Marguerite, n'a eu de cesse d'accomplir la dernière volonté du défunt, et faire paraître un livre qu'il avait commencé à rédiger. A la fin de sa vie, les forces lui avaient manqué pour y mettre un terme. « Il ne voulait pas parler de lui », se rappelle-t-elle. « Nous lui avons dit alors qu'il ne s'agissait pas tant de parler de lui que de rendre compte des joies et difficultés rencontrées et de rendre hommage à tous ces hommes et à toutes ces femmes, sans lesquels rien n'aurait pu se faire et dont personne ne parlerait s'il ne le faisait pas. Il s'est donc résolu à écrire. Il a écrit des petites séquences, j'en ai écrit sous sa dictée en lui posant des questions, car il ne pouvait plus écrire les deux dernières années de sa vie, mais je tapais les textes, les lui faisait lire et il les corrigeait si besoin était ; j'ai enregistré et retranscrit ses paroles, retrouvé des lettres », poursuit-elle. Une enfance et une adolescence dans un milieu protestant. Plus tard, à l'âge adulte, ce sera la prise de conscience majeure du dénuement des travailleurs algériens dans les années 1950, particulièrement à Besançon, puis Grenoble, le déclenchement de la guerre d'Algérie et la nécessité de l'engagement pour Jean Carbonare. Il fera de nombreuses navettes entre Paris et Tunis et sera l'un des premiers intermédiaires informels entre des interlocuteurs français et algériens de haut niveau. A l'Indépendance, il s'installe en Algérie et ses enfants, qui portent tous des prénoms algériens, passeront les premières années de leur vie, certains en y venant au monde. Dans les pages de son livre, on revit la naissance des Chantiers populaires de reboisement (CPR), avec une exceptionnelle photo où il est en discussion avec le président Ben Bella et le colonel Boumediène. Il détaille la formation des cadres des CPR, les poissons du Boulhilet, les moments difficiles et les extraordinaires leçons de vie apprises auprès des Algériens. A son départ du pays, Jean Carbonare va rester dans le domaine de l'aide au développement, au Sénégal d'abord, où là encore il décrit l'expérience et les rencontres. Plus tard, ce sera le Bénin, puis surtout le Rwanda dont il sera le premier à dénoncer le génocide et l'implication française, en direct dans des journaux télévisés en 1994. Pour Marguerite Carbonare, il faudrait que cette tranche de vie soit accessible aux Algériens qui ont toujours été une part importante de sa vie : « J'aimerais tellement que les jeunes Algériens (du moins ceux qui peuvent encore lire le français) puissent découvrir que tant de belles choses ont pu être réalisées par leurs parents et combien l'Etat algérien, juste après l'indépendance, était vraiment soucieux des ‘‘meskins''. » Note : Ensemble, se remettre debout de Jean Carbonare, éditions Olivetan, Lyon, mars 2010.Le livre, d'abord présenté au Salon du livre de Paris, sera notamment à l'honneur le 5 juin à Marseille, lors d'une journée d'étude sur le thème : « L'Algérie et la France : le poids du passé pour comprendre le présent ». Plusieurs intervenants sont prévus à l'occasion des 70 ans de l'association protestante de solidarité internationale Cimade, dont Jean Carbonare était un militant de la première heure en France, puis en Algérie dès l'indépendance. Nous en reparlerons.