Produit populaire typiquement algérien, le cachir est brandi par les manifestants ces dernières semaines pour dénoncer la corruption des tenants du régime. El Watan Magazine est allé à la rencontre des producteurs d'un aliment devenu, bien malgré lui, symbole de l'allégeance au pouvoir. Tout a commencé le 9 février dernier lors du grand rassemblement du parti FLN à la Coupole d'Alger pour demander au Président sortant de briguer un 5e mandat. Entre deux discours et une pathétique «cérémonie du cadre», les personnes conviées au meeting ont eu droit à des sandwichs au cachir pour calmer leur faim. Les railleries ont alors fusé sur les réseaux sociaux contre ceux qui ont été achetés avec du cachir. Le mot est désormais sur toutes les lèvres : une députée déclarait dans l'hémicycle au début du mouvement populaire que les «gens ne sont pas sortis pour réclamer le cachir», le directeur de la chaîne Ennahar (fustigé lui aussi par les manifestants) jure de n'avoir jamais consommé de cachir, le secrétaire général du FLN, Mouad Bouchareb, soulignait que «le FLN ne s'achète pas avec un morceau de cachir», un opposant RND à Ouyahia confiait que l'ex-Premier ministre a exclu du parti tous ceux qui ne mangent pas de cachir, des médecins protestataires préconisaient de se faire vacciner contre le cachir, un spectacle de rue mettait en scène «Maître Cachir» sous les huées des spectateurs et une pancarte brandie vendredi passé faisait dire à un groupe de chats qu'ils ne voulaient plus de cachir, mais du Whiskas (nourriture importée pour chats). Malgré le côté carnavalesque, cette situation inédite ne soutire pas les rires des producteurs. Il en existe 44 sur le territoire national et sont représentés par trois associations de transformateurs de viande, dont les agréments doivent être renouvelés. Dans l'usine Ammour, près des Eucalyptus, dans la banlieue algéroise, les blagues sur le cachir ne semblent franchement pas être de leur goût. «Nous sommes sur le terrain trop occupés à améliorer la qualité de nos produits, dit Ali Ammour, gérant de l'usine. Pour notre part, nous n'avons jamais reçu un centime de la part de l'Etat ou des banques et nous ne nous en plaignons guère. Et beaucoup de producteurs de cachir, avec lesquels nous avons des contacts, se tiennent loin de la politique.» Il ajoute : «Nous sommes un opérateur apolitique qui, comme beaucoup d'autres dans ce domaine, vise uniquement le développement économique de ce pays.» Aâmi Cherif, l'un des doyens de l'usine, nous accuse de vouloir les mêler à la politique : «Sachez, Madame, que nous n'avons de relations, ni avec les tenants du mouvement populaire ni avec les tenants du régime», dit-il, avant d'ajouter, dans un français châtié : «Nous sommes coupés des princes !» «Le cachir consommé à la Coupole n'était pas du Bellat» Qu'en est-il des gros producteurs, dont les logos sont caricaturés sur les pancartes et les noms cités dans les manifestations («Allahou Akbar, cachir Bellat», pouvait-on entendre à Alger). «Je ne sais pas pourquoi est-ce que dès qu'on parle de cachir, on cite Bellat. Nous ne sommes pas la seule entreprise qui fabrique du cachir en Algérie. Nous ne sommes qu'un fabricant parmi les 44 qui opèrent en Algérie et nous faisons aussi d'autres produits», déclare Mme Hamdad, chargée de communication du groupe Bellat. Citant «des sources officielles», elle affirme que le cachir «acheté dans les commerces», tient-elle préciser, pour le rassemblement de la Coupole, n'était pas du Bellat. «Le fait est, soutient-elle, que nous sommes leaders sur le marché, et que, comparés aux autres producteurs, nous fournissons des quantités très importantes». D'autre part, Lakhdar Bellat, le patron du groupe éponyme, n'est plus, à l'en croire, membre du Forum des chefs d'entreprises, représenté par le milliardaire décrié Ali Haddad. Il serait donc tout à fait possible de consommer du cachir, toutes marques confondues, sans trahir ses convictions politiques. Mais il faut dire que ce produit, bien qu'apprécié, n'a pas toujours eu bonne réputation. Farid kadi, éco-toxicologue, qui suit de près le contrôle de qualité de quelque 38 usines de cachir au niveau national, souligne, à ce propos, qu'un bond extraordinaire a été réalisé ces dernières années par les transformateurs en matière d'hygiène et de qualité. «Nous avons, partout dans le pays, des usines de transformation de viande qui n'ont rien à envier aux industries étrangères en matière d'équipements, de structures ou d'hygiène», souligne-t-il. Dans l'usine Ammour, les guides ne manquent pas de nous montrer les carrelages anti-bactériens et les clippeurs dernier cri qu'ils utilisent. «Le botulisme, c'est de l'histoire ancienne. En 1998, il y a eu une grande affaire, c'est maintenant à oublier», dit Aami Cherif, avant d'égrener : «En plus des règles strictes que nous observons dans nos unités, nous veillons à ce que nos clients-transporteurs aient des moyens de transport conformes. Nous travaillons avec 5 laboratoires externes. Nous faisons aussi de l'élevage, de l'abattage, et tout cela est suivi par nos vétérinaires.» L'un des chevaux de bataille sur lesquels insistait l'Association des transformateurs de viande concerne le «haccp», le système le plus pointu en matière de sécurité sanitaire des aliments. Les services vétérinaires insistaient sur l'application de ce système. C'est un investissement qui coûte cher. «Sur les 44 opérateurs, précise Farid Kadi, nous pouvons dire que 70% répondent aux normes de qualité. Notre objectif, et nous pensons l'avoir réalisé, consiste à faire du cachir un produit sain. La vision que beaucoup avaient de ce produit est erronée. Certains pensaient qu'il s'agissait d'abattre des volailles et de la mettre dans des machines avec ses plumes. C'est totalement faux». Le cachir reste un produit populaire, typiquement algérien, ressemblant à la mortadelle italienne et empruntant son appellation du «casher» juif signifiant la saignée (en référence à l'égorgement lors de l'abattage des bêtes selon les rites juifs et musulmans). Il est fabriqué essentiellement à base de volaille. Le bœuf est cher, nous explique-t-on, et le consommateur semble préférer que le produit reste accessible pour les petites et moyennes bourses. Ammour a bien tenté d'élaborer des recettes à base de canard et de lapin, mais il craint que cela ne soit pas du goût de ses consommateurs algériens. «Le goût est subjectif en Algérie. Les gens de l'Ouest aiment le cachir rugueux, les gens de l'Est le préfèrent lisse», explique Farid Kadi. «S'hab el cachir» Il existe ainsi plusieurs gammes de cachir, allant de 180 DA/kg à 2000 da le kilo. Dans la moyenne gamme, il y a une dizaine d'opérateurs algériens. Il est pour l'instant trop tôt pour juger de la baisse des ventes liée à la mauvaise publicité que subit le cachir. «Même si cela devait arriver, ce serait lié à la conjoncture particulière que vit le pays», glisse Mme Hamdad, chargée de communication du groupe Bellat. Dans l'usine Ammour, alors que les employés s'affairent à leurs tâches répétitives, la politique nous semblait bien loin jusqu'à ce que le patron nous la rappelle en nous offrant des rouleaux de cachir. «Comme ça, dit Ali Ammour tout sourire, l'on dira que vous faites partie, vous aussi, de ”s'hab el cachir” (les partisans du cachir)».