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« Il faut réinventer le militantisme »
Djamel Zenati. Ancien animateur du Mouvement culturel berbère :
Publié dans El Watan le 19 - 04 - 2010

Qu'est-ce que le printemps berbère a apporté à la revendication amazigh et au combat démocratique ?
Le printemps berbère de 1980 est le fruit d'une accumulation de luttes menées dans des conditions extrêmement difficiles par des femmes et des hommes qui n'avaient que la force de leur conviction face à une dictature dotée de tous les moyens de terreur et de guerre idéologique. Le printemps de 1980 a eu également le mérite de rompre avec la clandestinité et le caractère épars et atomisé de la militance amazigh. Il a été une sorte de synthèse qui a ouvert des perspectives à l'ensemble de la société. La revendication est rationnellement formulée. La question amazigh est désormais inscrite dans une problématique générale articulant histoire, identité, culture et développement. De ce fait, il a permis des convergences et des jonctions avec plusieurs segments de la société civile en gestation. Il est clairement apparu que le combat pour la réhabilitation de tous les éléments constitutifs de l'algérianité est indissociable du combat pour la construction d'un Etat moderne et la mise en place d'un système politique démocratique. Pour tout cela, le printemps berbère de 1980 a été un moment historique fort. D'ailleurs, le pouvoir, en plus de la répression physique, réagira très vite sur plusieurs registres. Il organisera, par exemple, une saisie discrète et minutieuse de tous les livres de Mammeri, Yacine, Marx, Lénine et inondera les librairies de publications de prédicateurs et autres « douktours » intégristes. Il apportera un soutien direct aux activistes islamistes dans les campus et cités universitaires afin de contenir le mouvement estudiantin libre. L'assassinat de Kamel Amzal est malheureusement l'un des résultats de cette stratégie.
Quel regard peut-on porter sur le chemin parcouru, 30 ans après ?
Le printemps berbère a rallumé la flamme du militantisme, en veille depuis le mouvement national. Il a produit des idées et des problématiques en rupture avec les canons de l'idéologie officielle. Il a brisé le mur de la peur et du silence. Il a ébranlé la dictature et ouvert la voie de la contestation publique. Trois décennies après, tout s'inverse. L'espoir a laissé place au désenchantement et la passion à la lassitude. Le désengagement politique et le desséchement intellectuel ont atteint un niveau inquiétant.
Selon vous, à quoi ce désengagement est-il dû ?
Il y a d'abord cette double pression intolérable qu'exercent le pouvoir par le haut et l'islamisme par le bas. Le champ dans lequel devait se construire l'alternative politique au système en place est pris en étau par ces deux autoritarismes. Il y a ensuite l'irruption de la violence dans ses formes les plus abjectes. L'insécurité et l'usure d'un côté et l'irrésistible attrait de la mangeoire de l'autre ont réussi à casser tous les ressorts de la société. L'indifférence, voire la complicité de la communauté internationale et l'arrivée ou plutôt le retour de Bouteflika au pouvoir ont accentué et accéléré ce phénomène de déconstruction politique et sociale. Il ne reste que l'émeute pour se faire entendre. Un mode d'expression que le pouvoir favorise particulièrement car relevant du registre du protopolitique. C'est-à-dire ne menaçant en rien la nature du système.
Vous parlez de déconstruction politique et sociale. Comment le système Bouteflika a-t-il réussi, en une dizaine d'années, cette déconstruction ?
Bouteflika est revenu au pouvoir dans des conditions particulières qu'il est inutile de rappeler. Son caractère et sa démarche versatile ont créé une confusion indescriptible et trompé presque tout le monde. Par ailleurs, le début de son règne a coïncidé avec une stabilisation du prix du baril de pétrole à un niveau élevé, le retour d'une forte pluviométrie et les attentats qui ont ciblé les USA en septembre 2001. La simultanéité de ces trois facteurs exogènes a constitué pour lui l'occasion inespérée de s'émanciper vis-à-vis des éternels « faiseurs de rois » et de procéder à un remodelage du système à sa convenance. D'un mode centralisé sous la forme de cercles concentriques avec l'institution militaire comme noyau, on est passé à une configuration éclatée en plusieurs sphères de pouvoir dont l'institution présidentielle représente le centre de gravité. On est vite tentés de voir là un passage de relais forcé ou négocié des militaires aux civils. Il n'en est rien. En fait, c'est juste un partage des territoires. Cette configuration éclatée ne peut être viable et fonctionnelle que si elle est légitimée par les structures traditionnelles à solidarité primordiale. Ce qui explique, en partie, l'irruption des tribus à l'Est, des zaouïas à l'Ouest et des archs en Kabylie. Jamais les conflits communautaires n'ont été aussi nombreux ni aussi exacerbés. L'exemple du M'zab est à cet égard caractéristique.
Vous faites référence au phénomène de la corruption, dont on connaît aujourd'hui l'ampleur...
Oui. Les dignitaires du régime eux-mêmes reconnaissent que la corruption a atteint des seuils intolérables et qu'il est temps d'y mettre un terme. Il paraît que le Président a instruit dans le sens d'une lutte implacable et sans merci contre ce fléau. Je voudrais faire deux remarques à ce propos. La première concerne cet intérêt subit pour la lutte contre la corruption. Qui peut croire une seule seconde à la sincérité d'une telle posture quand on sait que la presse indépendante est sous haute surveillance, la justice aux ordres et l'opposition réduite au silence ? On ne peut rien faire en l'absence de contre-pouvoirs reconnus. Les récents scandales étalés sur la place publique ne sont en fait que l'expression d'une guerre de clans par déballages interposés. La seconde remarque a trait au phénomène lui-même. Nous ne sommes pas face à une pratique marginale en écart avec la règle légale. Nous sommes plutôt en présence d'un véritable mode d'accès à la rente, en harmonie parfaite avec la nature du système. Le nouveau code des valeurs qu'on tente d'imposer dans l'imaginaire social repose sur un double postulat : la combine comme voie par excellence d'enrichissement et la proximité avec le pouvoir comme unique garantie d'ascension sociale.
L'Algérie est-elle donc condamnée à reporter éternellement sa transition démocratique ?
Il serait intéressant de s'interroger sur la nature exacte des obstacles à la transition démocratique dans notre pays. S'agit-il d'une spécificité liée à notre histoire ou de quelque pesanteur inhérente à notre culture ou à nos structures sociales ? Quel est le poids du système politique actuel dans cette résistance au changement ? L'état de sous-développement de notre économie ou encore l'Islam sont-ils des forces d'inertie ? Pourquoi la communauté internationale pratique-t-elle le régime de deux poids, deux mesures en imposant le respect des droits de l'homme aux uns et en accordant des dérogations aux autres ? L'abandon du terrain religieux aux islamistes avec leurs interprétations étroites et l'opposition entretenue entre Islam et démocratie par certains prétendus libéraux ont été très dommageables à la cause démocratique. Il n'y a pas de voie royale pour la transition démocratique. Chaque peuple puise dans ses ressources historiques, philosophiques, culturelles, religieuses, sociologiques et autres les constituants et matériaux nécessaires à la réalisation d'un destin collectif. Il n'y a pas de théorie générale en la matière. Si la responsabilité incombe au pouvoir, elle est aussi celle de la société. Il y a un grand effort à faire sur soi si on veut prétendre à des lendemains meilleurs. Il faut réinventer le militantisme par une reprise des luttes quotidiennes autour de questions concrètes. Comme il est tout aussi impératif de repenser de façon sérieuse le rapport entre les principes et les contraintes pour ne sombrer ni dans un idéalisme stérile ni dans un compromis diluant. Pour terminer, je voudrais saisir l'occasion qui m'est offerte, en cette journée du 20 avril, pour rendre un hommage particulier à des militants qui nous ont quittés. Je demande à tous d'avoir une pensée pour Matoub Lounès, Berdous Maâmar, Rachedi M'hamed, Bacha Mustapha, Boukrif Salah, Zadi Farid, Naït Haddad Mohand Ourabah et Belache Elhacène.
|Bio express
Né le 14 décembre 1959, Djamel Zenati est titulaire d'un DES en mathématiques. Son parcours de militant, il l'entame très tôt à l'université de Tizi Ouzou où il fonde la première organisation estudiantine indépendante de l'UGTA. Syndicaliste, il est également l'un des animateurs les plus en vue du MCB. Arrêté le 20 avril 1980, il est le plus jeune détenu du fameux groupe des 24. En août 1980, Djamel Zenati participe activement au séminaire de Yakouren durant lequel il fonde, avec d'autres activistes, le groupe musical contestataire Debza. En mai 1981, il participe aux événements de Béjaïa. Arrêté par les services de sécurité, il écope de 4 ans de prison, mais il est libéré au bout de 8 mois de détention à Constantine. A partir de 1992, « un rapprochement objectif » se fait avec le FFS. Pendant le boycott scolaire, il est désigné porte-parole de l'une des ailes du MCB. Il est également l'un des principaux négociateurs avec le gouvernement Sifi. En 1997, Djamel Zenati est élu député sur une liste FFS, même s'il avoue n'avoir jamais été militant de ce parti. Pendant la présidentielle de 1999, il est directeur de campagne d'Aït Ahmed dont il devient, par ailleurs, conseiller politique. Il ne prendra ses distances avec le FFS qu'en 2002, après la décision du parti de prendre part aux élections locales.|


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