Dans un réflexe de lucidité, la Kabylie s'emploie à se réapproprier les repères fondateurs de sa mémoire militante. L'espace d'un anniversaire qui a, aujourd'hui, 30 ans, l'âge de la maturité, le Printemps berbère, porteur d'un message d'espoir, se décline comme une plus-value politique du combat démocratique grâce à une génération de militants qui a assumé un combat pacifique public devant un pouvoir adepte de la violence et de la pensée unique. Le choix de la non-violence comme praxis politique émane de la qualité de la formation militante des acteurs de l'époque et de la dimension dynamique et populaire du mouvement revendicatif et contestataire. Si, aujourd'hui, des revendications sont exprimées sur la place publique pacifiquement, cela est dû sans doute au mérite de militants qui ont su prémunir leur combat des violences qu'ils ont subies pour la plupart dans leur chair. Au déclenchement des évènements du 20 Avril 1980, l'encadrement du mouvement avait déjà un capital expérience de lutte forgé dans la clandestinité dominée par un environnement répressif qui a provoqué l'usure des anciens et la confiscation du combat libérateur par un régime, qui voulait couper la génération d'après-guerre des repères sur lesquels s'était construite l'épopée du Mouvement national. Ce sont, en effet, les liens avec les acteurs de la guerre de Libération nationale qui ont fait que la mémoire collective est sans cesse entretenue. Une connexion générationnelle qui tirait sa substance des traditions de lutte des ancêtres depuis des siècles, depuis Jugurtha et son génie. La maturation des approches et des parcours de lutte a permis au Printemps amazigh d'avoir produit une mise en perspective d'une alternative crédible au pouvoir qui alimente au jour d'aujourd'hui le débat politique national. En décidant d'assumer son propre combat, la génération de 1980 avait fait le choix délibéré de sceller le sort du combat pour la revendication identitaire, frappée d'ostracisme par un pouvoir arabo-islamique réactionnaire, à celui des libertés démocratiques. Elle a eu l'intelligence de coupler la culture et la démocratie. C'est ce qui a fait que le mouvement avait pris de l'épaisseur avec une adhésion populaire sans faille. L'arrestation des principaux animateurs du Mouvement culturel berbère (MCB), qui seront déférés devant la cour de sûreté de l'Etat, avait suscité une large mobilisation populaire qui avait abouti à la libération des “24 détenus”, le 26 juin 1980. Une mobilisation qui ne pouvait que rassurer une jeune élite d'après-guerre qui a su structurer les préoccupations de la région en alternative politique fiable. Les geôles du pouvoir d'alors n'ont pas anéanti la détermination et la conviction désormais chevillée chez ces militants dont la générosité n'avait d'égale que la répression du parti unique, lequel avait pris le sens interdit de l'Histoire. “Nous n'avons pas choisi de faire naître Avril 80 dans les prisons et la répression. Cela nous fut imposé”, explique Saïd Sadi, tête pensante et leader incontesté du mouvement. La réflexion du président du RCD pose la problématique du bilan de ce long cheminement du combat pacifique. Si l'objectif de la revendication de l'officialisation de tamazight n'est toujours pas atteint, malgré des avancées notables, il demeure que sur le plan des luttes politiques, le Printemps berbère a ouvert de larges horizons pour la perspective démocratique nationale. L'introduction de la langue amazighe dans le système éducatif, depuis le boycott scolaire en 1995, et la présence mitigée de tamazight dans les médias ne peuvent dédouaner le pouvoir de son refus d'accéder à la revendication “pleine et entière” de la question identitaire, quitte pour lui à faire usage de la force comme au printemps 2001 ou à folkloriser un pan entier de la personnalité algérienne moulée dans une culture ancestrale, qui est là depuis des millénaires. D'où la nécessité pour les militants amazighs de protéger cet héritage symbolique du charlatanisme rétribué sur budget de l'Etat, qui veut brouiller et polluer un moment important de l'Algérie d'après-guerre. C'est en respectant l'esprit et la lettre du 20 Avril que la génération d'aujourd'hui, formatée aux standards universels, pourra restaurer la Kabylie dans ses repères et ses valeurs authentiques qui ont fondé son combat depuis des générations.