Le mouvement berbère a son histoire dans les Aurès. Il a aussi ses noms et ses lieux. Akker a yelli, adnaoui thilelli. » Les mots quasi prophétiques de Dihia résonnent toujours dans les Aurès. « Réveille-toi ma fille, nous allons arracher la liberté », disait la plus engagée des chanteuses chaouies dans cet hymne composé pour faire écho à Idir et son Agma inou (mon frère chaoui). Car dans les années 1970 comme de nos jours, le dialogue entre le Djurdjura et les Aurès n'a pas cessé afin de faire la jonction entre les deux régions dans leur combat identitaire et, par extension, politique. Le mouvement berbère a son histoire dans les Aurès. Il a aussi ses noms et ses lieux. Il y a plus d'une trentaine d'années, Amar Negadi, l'intellectuel de Merouana (Batna) et l'un des fondateurs de l'Académie berbère en France, commençait à semer les mots et les idées pour provoquer l'éveil identitaire des Chaouis. Et c'est à Sidi Okba qu'on voit apparaître sur les murs le Z en tifinagh, symbole des Berbères. Ce village, aux frontières de Batna et Biskra, est l'un des premiers foyers de la revendication dans les Aurès, à l'instar de M'chounèche que Mouloud Mammeri visitera au milieu des années 1970. C'est là aussi qu'auront lieu les premières arrestations par la police de militants qui manifestaient leur soutien, dès l'éclatement des événements du 20 avril 1980 à Tizi Ouzou. La deuxième génération de leaders – les Messaoud Nedjahi, Cherif Merzougui, Saci Abdi et autres – accompagnera, dans les années 1980, une vague de chanteurs qui véhiculent un message revendicatif à travers leurs chansons. Ils s'appellent Dihia, Zalatou, Azrou ou encore Massinissa et leur message est mieux perçu par la population qui réagit sensiblement. Quand le Mouvement culturel berbère (MCB) tient ses assises à Batna, en 1993, à l'initiative, entre autres, de Tahar Achoura, plusieurs foyers de revendications étaient allumés dans les Aurès. Le 20 Avril y est célébré déjà depuis l'ouverture démocratique. Le face-à-face avec le pouvoir est inévitable. Des manifestations sont interdites, à l'image d'un colloque sur la Kahina, la famille révolutionnaire s'oppose à donner le nom d'Imedghassen au nouvel aéroport de Batna et les prénoms berbères sont refusés aux nouveau-nés par les services de l'état civil. Au début des années 2000, la troisième génération de militants fait son apparition à T'kout ou encore à Zoui, dans la wilaya de Khenchela. Le deuxième printemps berbère ne laisse pas indifférents les frères des Aurès, qui adhèrent vite au mouvement et seront partie prenante des conclaves des archs. T'kout ressemblait d'ailleurs à n'importe quel village kabyle par son martyre. Les acquis de cette longue marche sont indéniables : retour en force de tamazight dans les grandes villes, naissance d'une radio locale émettant à moitié en langue chaouie, un festival dédié au théâtre amazigh d'envergure internationale et la liste n'est pas exhaustive. Une chose est sûre cependant : la cause a évolué à deux vitesses dans les deux régions. Car chez les Chaouis, la flamme n'a pas la même intensité qu'en Kabylie. « Les Aurès, malgré les efforts insignifiants des uns et des autres, sont restés à la traîne de la revendication culturelle dans notre pays », jugeait Amar Negadi dans l'une de ses correspondances à ses compatriotes aurésiens. L'éloignement d'Alger, le découpage administratif, l'effort colossal du pouvoir pour arabiser la région, l'étouffer avec une chape de plomb nommée famille révolutionnaire sont autant de facteurs qui ont conduit les populations des Aurès à évoluer différemment. Les dissensions chez les leaders ont ajouté du plomb dans les ailes d'une cause, aujourd'hui presque abandonnée, ne serait-ce que dans sa dimension intellectuelle. In fine, la conscience politique n'a nullement mûri chez les populations larges, contrairement à la question identitaire qui semble commencer à se cristalliser.