Député de la circonscription de Bouira, Ali Brahimi vient, à travers une lettre adressée au ministre de l'Education nationale, de faire un diagnostic des plus alarmants de l'enseignement de la langue amazigh en Algérie. Avant d'interroger le département de Benbouzid sur une série de questions qui taraudent les enseignants et apprenants du tamazight, citoyens et militants de cette cause légitime, Ali Brahimi pense que les pouvoirs publics ne semblent pas posséder de plan de développement de l'enseignement du tamazight, ni du point de vue de l'espace touché, ni de celui des moyens humains et matériels à mobiliser, ni des échéances à se fixer. Depuis son institutionnalisation, l'enseignement du tamazight, selon le député, ne cesse d'être ballotté entre plus ou moins d'élèves – au gré des campagnes de dissuasion, d'intimidation de certains préposés spécialisés dans son sabotage –, plus ou moins de postes budgétaires et plus ou moins de classes et d'écoles. Pourtant, fruit des sacrifices des citoyens, l'enseignement du tamazight a été juridiquement consacré depuis le boycott scolaire de 1994. Entamé lors de l'année scolaire 1995/1996 dans 16 wilayas du pays, dans des proportions spatiales et humaines inégales, « cet enseignement ne cesse de voir son territoire se rétrécir comme peau de chagrin », déplore Ali Brahimi. Le député indépendant estime qu'en dépit d'une forte communauté berbérophone, Oran, Illizi, El Bayad et Tipasa ont été vite sevrées de leur droit à leur langue autochtone. En 2009, ce sont les villes de Biskra et Ghardaïa qui n'en bénéficient plus, alors que Tamanrasset est sur le point de subir le même sort. A Batna, l'enseignement a été abandonné en 2001 puis a repris en 2005. « La traduction matérielle du fameux ordre "tamazight di lakul" (tamazight à l'école) ne survit plus aujourd'hui que dans 10 régions du pays, et ce, au profit de 235 063 apprenants seulement, dont la majorité est au cycle moyen. » Avec Alger, Boumerdès, Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa et Sétif, la Kabylie représente 91,98%, soit 216 230 élèves, dont 96,27% se trouvent dans les seules wilayas de Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa. « Est-il normal qu'en pleine Kabylie, Boumerdès, chef-lieu de wilaya, ne bénéficie pas de cet enseignement relégué vers quelques zones rurales isolées ? », a déploré Ali Brahimi. S'agissant du corps enseignant, les chiffres avancés par le député font ressortir que seuls 844 enseignants déployés à l'échelle nationale ont fait l'université (donc ils ont une licence), soit un taux de 73,51%, alors même que des centaines de détenteurs de licences en langue amazigh sont livrés au chômage ou à une frustrante reconversion professionnelle. « A cet effet, il est regrettable de constater qu'une grande partie des enseignants en fonction sont des reconvertis venant de l'enseignement d'autres matières... A Batna, la totalité des 87 enseignants déployés est constituée de reconvertis, alors que dans la wilayas de Khenchela et Oum El Bouaghi, cette formule est refusée ! » Face à cette situation, le député estime que les autorités publiques n'ont pas mis en place une stratégie permanente de recyclage et de perfectionnement sur le court, moyen et long termes spécifique aux enseignants du tamazight ou à l'enseignement de la langue maternelle. L'Ecole normale supérieure, réglementairement requise depuis 2002 en vue de l'ouverture d'une filière du tamazight pour former des enseignants du cycle secondaire, ne présente même pas, de l'avis du député, la fiche de vœux de cette discipline à ses nouvelles recrues. En matière d'enseignement amazigh, les ministères en charge de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur évoluent dans des dimensions strictement parallèles. « Tamazight est depuis 2005 introduit dans le cycle primaire. Mais hélas, en contradiction avec tout souci pédagogique ou scientifique, ce n'est qu'en quatrième année primaire que l'enfant renoue avec sa langue maternelle. Il peut même à nouveau en être séparé au CEM et/ou au lycée du fait des discontinuités possibles de la couverture des trois paliers de l'éducation nationale en enseignement amazigh. » Par ailleurs, Ali Brahimi interpelle le ministre de l'Education nationale quant à l'élaboration d'une stratégie et d'un plan cadre de poursuite et d'extension de l'enseignement de la langue nationale amazigh en identifiant et en quantifiant les ressources humaines et financières et les instruments juridiques et institutionnels nécessaires à cette mission, y compris dans sa dimension formation et en veillant à l'exposer devant le Parlement ? « Les communautés mozabite, chaouie, targui, zenata, chleuh et chenoui n'ont-elles pas les mêmes droits à l'enseignement de leurs langues maternelles ? », s'est interrogé le député indépendant, avant de conclure à l'adresse du ministre : « Etes-vous disposé à faire bénéficier l'enseignement du tamazight du statut scolaire obligatoire, dès la première année du primaire, dans un premier temps dans la région de Kabylie qui en possède les moyens humains ? »