Le 10e vendredi de contestation a mobilisé une foule immense à Oran, qui a défilé, en rangs serrés, de la place 1er Novembre au rond-point Zabana, avant de faire le chemin inverse, et retourner au point de départ. La manifestation, qui s'est voulue grandiose pour cet acte X, s'est ébranlée sous les cris de «Gaïd Salah, fakou fakou !» (Gaïd Salah, on n'est pas dupes !), une manière de dire à ces «messieurs qu'on nomme grands» qu'ils n'ont pas affaire à un peuple décérébré et manipulable à souhait, mais à des femmes et des hommes très au fait de la chose politique, et à qui on ne la fait pas si facilement. Gaïd Salah a été ciblé hier plus que de coutume, comme en témoignent de nombreuses pancartes : «Gaïd Salah n'est pas avec le hirak», «Gaïd-Toufik : comédie !», «Rappel aux généraux : la retraite est à 60 ans», «El Gaïd pour sauver le système, le peuple pour sauver le pays !», «Le peuple dit non à Gaïd !», «Bensalah rayeh rayeh, eddi maak Gaïd Salah» (Bensalah, puisque tu vas partir, prends avec toi Gaïd Salah !). Par un clin de l'œil à l'actualité de la semaine, marquée notamment par l'emprisonnement d'Issad Rebrab, beaucoup de manifestants ont trouvé matière à commenter, avec des slogans emplis d'ironie : «Ouyahia, Sellal, Saïd, toujours en liberté ?», «La vraie justice doit commencer par juger Saïd Bouteflika, Abdelaziz Bouteflika et Nacer Bouteflika, sans oublier leurs satellites de la présidence», «Non à une justice sélective, non à une justice-spectacle, non à une justice téléguidée», «Non au règlement de compte», «Saïd, Khelil, El koul à El Harrach !». Un sexagénaire affichait fièrement une banderole : «Pour une République démocratique et sociale. Ni une monarchie, ni une théocratie !» La procession interminable de manifestants a ainsi poursuivi son petit bonhomme de chemin le long de la rue Larbi Ben M'hidi en scandant en chœur : «Goulna tarahlou yaani tarahlou !» (On a dit que vous dégagez, alors vous dégagerez !). Si, durant les premiers vendredis, la halte observée au siège de la wilaya était un point incontournable, il faut croire qu'au fil des semaines les manifestants ont plutôt jeté leur dévolu sur le rond-point Zabana, qui s'apparente à une place plus ou moins vaste, avec la statue éponyme plantée en son centre. «Pas ce confiance, pas de vote avec ce pouvoir. Qu'ils dégagent tous !», criait un vieux retraité, alors qu'une jeune à côté de lui affirmait qu'il n'y aura pas de vote le 4 juillet. Un peu plus loin, nous aperçûmes une pancarte sur laquelle était écrit : «Des hommes sans dignité ne peuvent pas gouverner un pays comme notre Algérie». Avec des mots simples, mais ô combien sincères, un vieil homme, tout en suivant la foule de manifestants, tenait une affiche où on pouvait lire : «On a hâte de vivre dignement !». Dans un arabe poétique, un autre manifestant à la voix qui porte entonnait : «Sarrakine, kaddabine, haggarine, bayaiine el cocaïne !» (Voleurs, menteurs, oppresseurs, vendeurs de cocaïne), avant d'être repris en chœur par une foule compacte. Cette dernière reprenait ensuite : «Kalma wahda fel maydane : dégage FLN !» (Un seul mot d'ordre : FLN dégage !) De retour à la place 1er Novembre, beaucoup des manifestants se sont organisés dans une sorte une sorte de halqa pour discuter et débattre de l'Algérie de demain, avant de se disperser dans le calme et la bonne humeur.