Ils étaient des centaines de milliers de personnes à investir les rues de Tizi Ouzou, hier, pour réitérer l'exigence populaire du départ du système et exprimer le rejet de la solution proposée par le chef d'état-major de l'armée, Gaïd Salah, à savoir l'application de l'article 102 de la Constitution. Comme tous les vendredis depuis le 22 février, il n'était pas encore midi lorsque les premiers groupes de manifestants ont commencé à se rassembler devant l'entrée de l'université de Tizi Ouzou. La foule grossissait ensuite à vue d'œil. Les manifestants arrivaient, pour la plupart, par carrés entiers, bien organisés et bien encadrés. Il y avait des hommes, des femmes, des personnes âgées, des jeunes et des enfants pour lesquels marcher pour le départ du système est devenu un rituel à ne pas manquer. Il y avait aussi des handicapés sur des fauteuils roulants qui se démenaient mais que tout le monde aidait et des bébés dans des poussettes qui, sans le savoir, participent à la construction de leur avenir. À 13h, la foule s'ébranle dans l'habituelle ambiance, certes, festive, parfois même folklorique, mais qui n'a rien perdu de son caractère hautement politique. "Seraqin, khedaine, houkoumat el cocaïne" (voleurs, traîtres, gouvernement de cocaïne), scande-t-on dans le premier carré. "Bouteflika rayeh, rayeh, edi maak Gaïd Salah" (Bouteflika étant partant, emmène avec toi Gaïd Salah) entend-on un peu plus loin derrière. Plus loin encore on scande à tue-tête "Nehiw lna laissaba nkounou labes", "système dégage", "Gaïd dégage", et encore "Oulach lgaz à Macron, sehmou s triciti" qui s'adresse au président français l'invitant à se chauffer désormais à l'électricité tant il n'y aura plus de gaz pour son pays. Dans un des carrés du milieu de la marche, apparaît le Dr Saïd Sadi avec, à ses côtés, plusieurs figures du Printemps berbère dont Mouloud Lounaouci et Arab Aknine. Sur une pancarte brandie près d'eux, on pouvait lire : "Des cerveaux bien nourris feront tomber un régime bien pourri." Au centre-ville, la foule devient plus dense encore. Ils étaient des centaines de milliers. Comme les vendredis précédents, il était quasi impossible d'avancer. Des milliers de pancartes sont partout brandies, aux côtés de l'emblème national et du drapeau berbère. La plupart d'entre elles ont été adaptées à la dernière donne politique. Elles résument le verdict sans appel du peuple concernant l'application de l'article 102. "Le peuple réclame l'application de l'article 2019 qui veut dire : yetnehaw gâa", lit-on sur certaines d'entre elles. "Art 7 : pouvoir au peuple. Art 2 : tromperie du peuple", "Article 102 : on n'a rien changé", "Non à l'application de l'article 102". "La Constitution c'est le peuple : appliquez l'art 7", "Article 7 : le peuple est la source de tout pouvoir", "On ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés : dégagez", "Non à la transition guidée par le régime", "La justice du peuple demande la prison pour le système", lit-on sur d'autres pancartes encore. Des slogans qui ne laissent place à aucune confusion autour de la revendication du peuple et son rejet de toute solution autre que le changement radical du système. À 17h, l'immense foule commence à se disperser dans le calme.