Les Algériens, ayant répondu massivement à la grande mobilisation du 10e vendredi de protestation, ont définitivement disqualifié la feuille de route proposée par le pouvoir. Que faire ? Une nouvelle feuille de route s'impose, comme l'appellent de leurs vœux les manifestants et la classe politique. Comment sortir de l'impasse politique actuelle ? C'est la grande interrogation du moment. Et les réponses tardent à venir. Plus de deux mois depuis le début de la crise, les tenants du pouvoir semblent complètement désorientés face à l'intransigeance du mouvement populaire, qui déjoue, semaine après semaine, toutes leurs manœuvres. En effet, les Algériens, ayant répondu massivement à la grande mobilisation du 10e vendredi de protestation, ont définitivement disqualifié la feuille de route proposée par le pouvoir, consistant à organiser une présidentielle conformément à la Constitution, plusieurs fois malmenée. Que faire maintenant ? Jusqu'à présent, les tenants du pouvoir ne suggèrent rien. Depuis la mise en œuvre de l'article 102 de la Constitution et le départ du président, Bouteflika, poussé vers la porte de sortie, ils s'obstinent à maintenir leur feuille de route initiale, rejetant toute idée d'une transition, au nom de la «stabilité des institutions». Une feuille de route conduite cette fois-ci par le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, qui enclenche aussitôt après son intronisation un processus électoral en vue d'aller vers un scrutin présidentiel, le 4 juillet. Mais la réaction du mouvement populaire et de l'ensemble de la classe politique de l'opposition l'a vite refroidi. Le boycott massif de sa conférence, initiée pour la mise en place d'une instance indépendante d'organisation des élections, semble l'avoir assommé. Il est complètement absent. Depuis son discours à la nation prononcé le jour même de son installation, le 9 avril, à la tête de l'Etat, il s'est complètement effacé de la scène. Son activité s'est limitée seulement aux limogeages et aux nominations des responsables des administrations et autres organismes publics. Le gouvernement Bedoui aussi est dans la même posture. Le Premier ministre, qui ne s'est pas exprimé publiquement depuis plusieurs semaines, se contente de réunir, chaque mercredi, un conseil du gouvernement pour gérer des «affaires courantes». Mais son staff peine à travailler sur le terrain. Des ministres sont empêchés d'effectuer des visites de travail et d'inspection dans les wilayas par les citoyens qui exigent le départ du gouvernement. Quelles sont les «solutions possibles ?» Face à ce rejet populaire, un seul représentant du pouvoir se met au-devant de la scène. Il s'agit du chef d'état-major de l'ANP Ahmed Gaïd Salah. Ses interventions sont désormais attendues, chaque mardi. Cependant, ses changements de positions concernant le règlement de la crise irritent le mouvement populaire, qui a fini par s'en prendre aussi à lui. Son attachement, affirmé mardi dernier, au maintien de l'élection sous la conduite de Abdelkader Bensalah et du gouvernement Bedoui ainsi que ses attaques contre l'opposition ont changé la donne. Mais son rétropédalage, signé le lendemain, n'a visiblement pas convaincu grand monde. Quelles sont les «solutions possibles» évoquées par Gaïd Salah dans son discours de mercredi dernier ? Le concerné ne dit rien pour l'instant. Pendant ce temps, la crise continue de se corser. L'issue semble encore loin. Pis, la mise en branle de la justice, qui a ouvert, subitement, plusieurs dossiers dits de corruption et mis en prison certains hommes d'affaires, a semé beaucoup plus le doute qu'elle n'a donné d'assurance à l'opinion. Le cas du patron de Cevital, Issad Rebrab, une des victimes du régime qui bloquait ses projets depuis des années, a fait penser à «un règlement de comptes». C'est pourquoi des hommes de loi, des politiques et des citoyens mettent en garde contre cette opération «mains propres». Pour eux, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. La justice transitionnelle, expliquent-ils, devra intervenir après la mise en place d'une sérieuse transition politique «afin de permettre aux magistrats d'accomplir sereinement leur mission». Ainsi, la vraie transition est une urgence. De nombreux partis de l'opposition ont déjà mis sur la table des propositions de sortie de crise. Dans leur réunion de jeudi dernier, les Forces du changement, regroupant des partis, des personnalités, des syndicalistes et des universitaires, viennent de lancer un appel à l'organisation d'une rencontre nationale de sortie de crise. Une conférence qui «sera ouverte à toutes les sensibilités de la société, hormis celles qui sont à l'origine de la crise actuelle». Le passage à cette phase est même une nécessité, selon le politologue Hasni Abidi. «La rue a une vie politique limitée et elle ne peut continuer à manifester sans désigner des interlocuteurs pour s'engager en son nom dans la transition démocratique. Il faut commencer le dialogue avec l'institution militaire», suggère-t-il, dans une déclaration accordée à l'APS. Selon lui, «si la transition prend encore du temps, il y a un grand risque et l'Algérie pourrait s'épuiser sur le plan économique». «Aller à l'élection présidentielle le 4 juillet prochain est un non-sens, car le corps électoral algérien, qui est dans la rue chaque vendredi, s'exprime et dit non à cette échéance », explique Hasni Abidi.