Le Sud face à la crise. Il s'agit là d'un sujet d'une actualité brûlante que se propose de débattre, aujourd'hui à l'hôtel Es Safir, le quotidien El Watan avec trois intellectuels de renommée internationale : Samir Amin, président du Forum des alternatives (FMA) ; François Houtart, président du Centre tricontinental (Cetri) et Ali El Kenz, professeur à l'université de Nantes. Economiste franco-égyptien de renom, Samir Amin considère, à l'instar de nombreux autres intellectuels, que le moment est venu de combattre le système capitaliste qui, selon lui, est entré dans une phase de déclin avancé et de commencer à rechercher des issues qui pourraient être les moins coûteuses pour l'humanité. Connu pour faire partie des plus grands pourfendeurs du capitalisme, Samir Amin soutient en outre que le capitalisme – remis en cause au XXe siècle, comme système économique, social et politique par les projets alternatifs (socialistes, communistes) – est confronté au contraste grandissant qu'il a lui-même produit entre les centres dominants et les périphéries dominées. Un contraste qui, ajoute-t-il, a alimenté la révolte, le refus des peuples dominés de s'ajuster, d'accepter cette domination et la dégradation des conditions sociales qu'elle engendre. Par ailleurs, Samir Amin se dit convaincu que le long déclin du capitalisme peut devenir une longue transition vers le socialisme mondial et cela grâce à des « avancées révolutionnaires » comme il y en a eu en Amérique latine ou en Inde. Il soutient également que si cette transition vers le socialisme ne devait pas s'opérer, le scénario serait celui d'une longue transition vers toujours davantage de barbarie. Et c'est justement le danger dont il est venu prévenir. Théoricien principal de l'anti puis l'altermondialisme, M. Amin préconise ainsi, pour sortir du joug capitaliste, une sorte de « développementisme marxiste » comme prolongement au tiers-mondisme de ses années maoistes. Moins connu est le fait que sa grille de lecture économiste en fait un excellent historien des « formes précapitalistes » des pays colonisés, notamment africains, mais aussi à propos de la Chine. S'il passe pour un apologue du capitalisme d'Etat aux yeux des anarchistes, sa compréhension de l'histoire à l'aune du mode de production en fait aussi un analyste des plus lucides et intransigeants de la géopolitique postérieure à la dissolution de l'Union soviétique et des manipulations ethniques, nationales et religieuses consécutives à 1989. Prêtre et grand militant également de la cause du Tiers-Monde, François Houtart est aussi un éminent sociologue belge. Véritable cheville ouvrière de l'altermondialisme, il a fondé successivement le Centre tricontinental (Cetri), la revue Alternatives Sud, présidé la Ligue internationale pour le droit des peuples et participé à la création du Conseil international du Forum social mondial. Cela sans compter qu'il est également membre du comité de parrainage du tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. Figure emblématique du mouvement altermondialiste, François Houtart est l'un des pères de l'« autre » Davos et du Forum social mondial de Porto Alegre. Face à l'évolution de la situation mondiale et aux tentatives de récupération dont il fait l'objet, il estime que le mouvement altermondialiste aurait intérêt à radicaliser son discours. Mais au-delà, les trois chercheurs invités par El Watan ne manqueront certainement pas de dire comment l'Algérie et plus généralement le Maghreb peuvent bénéficier des expériences menées par les populations indienne et latino-américaine pour mettre en place de nouvelles solidarités sociales, s'affranchir de « l'hégémonie capitaliste » et instaurer des pratiques (sociales et économiques) nouvelles et surtout plus équitables.