Situé sur le tracé frontalier, le village de Roubane est à des années-lumière de la civilisation. En pénétrant sur son territoire, après plusieurs barrages de militaires, on a l'impression que cette bourgade ne fait pas partie d'une wilaya algérienne. Contrée à vocation agricole, fière de ses Chouhada et ses vaillants moudjahidine, elle est pourtant isolée de tout. Région montagneuse, Roubane, dont on ignore le sens étymologique, est berbérophone. Ses habitants, humbles villageois sans perspectives annoncent d'emblée : « Comme vous le voyez, nous n'avons rien, nous continuons à vivre selon la volonté de Dieu. Sans projets de l'Etat, nos enfants chôment à longueur de journée ». Et de nous prévenir : « Eteignez votre portable, ici c'est Méditel, l'opérateur marocain qui a pignon sur rue. Attention au roaming ». Et dire que Roubane est à seulement 10km du chef-lieu de la daïra de Béni Boussaïd. Et tous les réseaux de nos opérateurs téléphoniques n'ont pu percer le champ hertzien chérifien. Curieusement, cette région, qui alimente en eau potable une grande partie de la wilaya de Tlemcen, n'en bénéficie pas elle-même. « Et dire que la charité commence par soi », commente, mi-figue, mi raisin, Abdellah, la quarantaine. « Ici, quand on parle de nous, on évoque la contrebande. Il faudrait déplacer la frontière pour nous débarrasser de cette étiquette honteuse ». Cohabitation avec la poussière et la boue Il fut un temps, comme a tenu à le rappeler un vieil autochtone engoncé dans sa djellaba où « On enterrait nos morts dans le cimetière marocain. Comme si même la terre refusait nos morts ». Dans cette région, tout manque quasiment : « Nous sommes obligés de parcourir des kilomètres à pied pour pouvoir vaquer à nos occupations. Quant aux routes, disons que nos enfants ignorent ce qu'est le bitume. Nous cohabitons avec la poussière et la boue ». Parler d'éclairage est du domaine du surréalisme : « Ne vous étonnez pas, nous sommes oubliés par les pouvoirs publics. Imaginez que, même pour prier, il faut faire des kilomètres. Et encore, la seule mosquée dans les environs a été quasiment bâtie par un bienfaiteur ». « Parfois, on se demande pourquoi aucune autorité n'est venue chez nous. C'est juste pour avoir le sentiment que nous sommes des Algériens nous aussi ». Dans cette région frontalière, il y a également beaucoup d'incidents. Des jeunes ont été tués par balle par des garde-frontières. « On voudrait seulement vivre dans la dignité et que nos enfants aient des perspectives d'avenir ! », souhaitent les Roubanais. De retour de cette contrée, nous avons été arrêtés à un barrage militaire. « Vous revenez d'où ? », a questionné un gradé, la Kalachnikov en avant. « D'Algérie, pardi ! », avions-nous répondu interloqués. Cela veut tout dire…