Les deux camps libyens se renvoient les accusations d'intervention étrangère, alors que la bataille de Tripoli entre dans son deuxième mois, amplifiant la souffrance de la population tripolitaine. La bataille est certes engagée, mais les deux camps ne disposent pas de moyens pour l'arrêter rapidement. Haftar ne s'attendait pas à ce que les milices tripolitaines, jusque-là éparpillées, s'unissent contre lui. Al Sarraj ne dispose pas d'autorité réelle pour imposer aux troupes qui le soutiennent de se tenir à distance des groupes et des individus que le Conseil de sécurité a listés comme étant des groupes terroristes. C'est donc le chaos, surtout avec les grands enjeux financiers que représente la Libye. En visite à Rome, avant d'aller à Paris, Berlin et, éventuellement, Londres, le président du GNA, Fayez Al Sarraj, a demandé à l'Italie de «faire plus d'efforts en vue de provoquer un changement positif dans les positions hésitantes des pays européens, ce qui accélérerait l'arrêt de l'agression et le retour des forces de l'agresseur d'où elles sont venues». De son côté, le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, a réaffirmé la position italienne signifiant qu'il «n'y a pas de solution militaire à la crise libyenne» et qu'il faut impérativement revenir au processus politique. Conte a dit qu'il rencontrera incessamment le maréchal Haftar, en vue de trouver une issue négociée à la crise libyenne. Al Sarraj compte également se rendre à Paris, que le ministre de l'Intérieur du GNA, Fathi Bech Agha, ne cesse d'accuser de soutenir Haftar, ce que Paris temporise, rappelant que «la France a continûment soutenu le gouvernement d'Al Sarraj… aux Nations unies et sur le plan de la sécurité». Al Sarraj compte également visiter Berlin et, peut-être, Londres pour essayer de changer la position internationale par rapport aux groupes armés soutenant le GNA. Bataille diplomatique En parlant de ces groupes armés, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a été très virulent contre eux dans une récente interview au Figaro. Il a notamment dit que, dans le camp des opposants de Haftar, «on trouve parmi les miliciens des responsables de hold-up, des spécialistes de la prédation et des djihadistes… ; il y a les groupes mafieux de passeurs qui torturent et mettent en esclavage des migrants». Le Drian a enfoncé le clou en disant qu'ils «ne se battent pas pour Al Sarraj mais pour la protection de leurs activités criminelles». Par contre, concernant Haftar et son armée, le ministre français des AE a souligné que «l'Armée nationale libyenne contrôle une grande partie du territoire». Le Drian a précisé que «Haftar a lutté contre le terrorisme à Benghazi et dans le sud de la Libye, et cela était dans notre intérêt, celui des pays du Sahel, celui des voisins de la Libye». Il a oublié cependant de dire que ce sont les milices de l'Ouest qui ont libéré Syrte des mains des terroristes de Daech et que Haftar est aussi entouré d'islamistes salafistes qui ont fait des autodafés (de livres) à Benghazi. Le ministre français a conclu en disant : «Je soutiens tout ce qui sert la sécurité des Français et des pays amis de la France.» Face au risque de retour d'une dictature militaire, Le Drian a dit : «Il (Haftar) m'a toujours fait part de son désir de servir une autorité civile, une fois que des élections auraient eu lieu.» Face à de tels propos, Al Sarraj ne sera vraiment pas à l'aise à Paris. Mais, le GNA n'a pas de choix. Tiraillements internes Dans cette crise, Les Tripolitains sont très divisés. «Ils sont unis contre Haftar, pas dans le soutien du GNA», explique le politologue Ezzeddine Aguil. Par ailleurs, le président du parti démocratique libyen, Ahmed Chibani, confirme cette attitude en accusant les conseillers d'Al Sarraj, Tejeddine Rezagui et Tahar Sunni, de trahison, puisqu'ils communiquent avec le camp de Haftar en vue d'un armistice. «Ce sont les révolutionnaires, combattant l'invasion de Haftar sur le front, qui décideront de la Libye, non Rezagui et Sunni. Al Sarraj doit écarter ces traîtres, avant qu'il ne soit trop tard», a menacé Chibani, traduisant la contestation contre l'entourage d'Al Sarraj. Pareils propos sont également repris par l'ancien mufti Sadek Ghariani, dont les sympathisants combattent également contre les forces de Haftar. Le camp Al Sarraj n'est donc pas homogène et manque de soutien à l'international, d'où cette décision de visites en Europe. Par ailleurs, un climat d'insécurité s'installe à Tripoli. Ainsi, le pilote de la compagnie Air Libya, Nouri Latrache, originaire de Benghazi, a été kidnappé par un groupe armé à l'intérieur de l'hôtel Essafi, alors qu'il se reposait avec le reste de l'équipage, avant de s'envoler pour Jeddah. Les opérations de kidnapping, accompagnées de demandes de rançon, se sont multipliées ces derniers temps à Tripoli. Ce mois de Ramadhan s'annonce très perturbé pour les Tripolitains, quoique le centre de Tripoli soit, jusque-là, épargné.