Les télévisions satellitaires privées jouent un jeu trouble. Si au début de la contestation ces chaînes ont ignoré les manifestants qui réclamaient le départ du régime Bouteflika, elles essayent, au gré de l'actualité, de montrer une autre image des actions de protestation. La poursuite du hirak a contraint ces chaînes de droit étranger à changer de comportement suivant l'actualité. Ces chaînes auraient reçu «instruction» de minimiser le nombre des marcheurs : les comptes rendus ont montré des images du début des manifestations, où le nombre des protestataires était réduit. Dans leurs directs du 12e vendredi du mouvement populaire, les envoyés spéciaux s'étaient efforcés, sans y parvenir, de minimiser le nombre des marcheurs, particulièrement ceux rassemblés au centre de la capitale. Le parvis de la Grande- Poste, l'une des places fortes de la contestation, était filmé sans l'affluence habituelle. Objectif : montrer que le mouvement s'est essoufflé. Sur une chaîne privée, le reporter a «recadré» son collègue du studio qui a voulu lui faire dire que le nombre des manifestants était moins important que lors des derniers vendredis. Dans leurs couvertures des manifestations, ces chaînes offshore avaient aussi un autre objectif : cacher des slogans repris en chœur par les manifestants. La chaîne Ennahar a ainsi diffusé une ancienne image du centre-ville, où les slogans antirégime, particulièrement ceux hostiles au chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salaah, pourtant très présents, ont disparu. Les mots d'ordre scandés par les manifestants ont été aussi effacés au profit d'autres revendications, moins visibles. Conscients des pratiques de ces chaînes, dont les responsables ne cachaient pas leur proximité avec les cercles décisionnels, des manifestants s'en sont pris aux médias laudateurs (sahafa chiyatine) : leurs cameramen et reporters ont été hués et même parfois violemment malmenés. L'ARAV dans le désordre audiovisuel Ayant d'abord fait avec zèle la promotion du 5e mandat du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, à qui ils ont tressé des lauriers, ces médias essayent par tous les moyens (émissions de débats très orientés, faux directs, etc.) de manipuler l'opinion. Dernier fait gravissime : les bandeaux annonçant la mise sous mandat de dépôt de la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune, alors que la concernée était toujours dans le bureau du juge d'instruction. Autre fait considéré comme une entorse grave à l'éthique journalistique : la diffusion des images des personnes poursuivies, sans que la présomption d'innocence, un des principes intangibles de la loi, soit respectée. La mission dévolue à une chaîne privée est revenue en priorité à la Télévision publique, connue pour sa modération. Ce n'est qu'après ce passage obligé que ces images filmées par des militaires sont reprises en boucle par les autres chaînes. Ad nauseam. Pourquoi une telle situation ? Les pouvoirs publics ont favorisé l'émergence de ces chaînes après l'ouverture de l'audiovisuel à la faveur de l'adoption des lois sur l'information et l'audiovisuel. Les ministres de la Communication, particulièrement Hamid Grine, ont soutenu les gérants de ces chaînes et n'ont guère permis à l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) de mener à bien sa mission. Preuve de ce laisser-aller flagrant : lors d'une plénière de l'APN consacrée aux questions orales, l'ancien ministre de la Communication Djamel Kaouane a répondu à deux députés du parti du Front de libération nationale (FLN) et de l'Union Nahda-Adala-Bina concernant «le non-respect» des spécificités du mois de Ramadhan et des us et coutumes des familles algériennes que ces chaînes, qui ont une jeune expérience, «diffusent par satellite et sont de droit étranger», ajoutant dans ce sens que l'ARAV «tente (sic) de jouer son rôle en fonction de la réalité de ces chaînes». Dans un communiqué rendu public le 26 février, l'Autorité signale qu'elle n'a pas été dotée «des moyens nécessaires à son fonctionnement». Elle «ne peut (donc) fonctionner normalement que si les pouvoirs publics concernés satisfont à leurs obligations en matière de mise en ordre du paysage audiovisuel», poursuit l'ARAV. Dans son communiqué rendu public le 17 avril dernier, cette même autorité a rappelé aux médias audiovisuels «la nécessité impérieuse de fournir une information de service public en toute transparence» et de respecter «le principe de la déontologie», notamment dans la situation actuelle que traverse le pays. Mais l'institution présidée par Zouaoui Benhamadi ne peut pas, malgré la volonté de ses membres (deux sur les neuf sages n'ont pas encore été remplacés, Zahir Ihaddadène, décédé, et Lotfi Cheriet, désigné DG de l'EPTV), d'assainir l'audiovisuel national via les techniques prévues par la loi pour la création d'un service de communication audiovisuel. Preuve du délabrement des institutions de l'Etat : le site de l'ARAV (arav.dz), lancé en 2016 après l'éphémère épisode de feu Miloud Cheurfi, montre toujours Abdelmalek Sellal comme Premier ministre !