Alors qu'il s'apprête à être en appel en seconde fois pour les propos qu'il a tenus à une chaîne de radio web, le général à la retraite Hocine Benhadid se retrouve sous le coup d'une autre poursuite judiciaire et d'une autre détention, pour une lettre adressée le 25 avril dernier au chef d'état-major de l'ANP et vice-ministre de la Défense nationale à travers les colonnes d'El Watan. Pour son avocat, Bachir Mechri, «le contenu de cette lettre n'a rien d'accusateur. Bien au contraire, Benhadid a rendu hommage au vice-ministre de la Défense. Il lui a tendu la main pour l'aider en lui disant qu'il n'était pas seul face à la crise. Il lui a proposé des solutions pour mener le pays vers la sortie, lui expliquant que celles-ci ne sont pas dans la Constitution. Elles sont d'ordre politique étant donné que la crise est essentiellement politique». De ce fait, ajoute maître Mechri, «comment peut-on qualifier ses propos de ‘participation à une entreprise de démoralisation de l'armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale', tel que stipulé dans l'article sur la base duquel il est poursuivi ?» L'avocat indique que son mandant a été convoqué et entendu sur le sujet, la semaine dernière, par les officiers de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), qui relève du ministère de la Défense nationale, mais il n'a pas reçu de convocation du tribunal de Sidi M'hamed près la cour d'Alger. «Ce sont les mêmes officiers qui sont venus chez lui pour le présenter au tribunal», note Me Mechri. En fait, Hocine Benhadid se savait menacé d'une éventuelle poursuite, mais pas de détention. Dès la publication de sa lettre dans le quotidien El Watan, il a fait l'objet d'une violente campagne médiatique menée par quelques chaînes de télévision privées. Le contenu de sa lettre a été étrangement présenté comme un appel à la rébellion dans les rangs de l'armée, voire même à un putsch contre le commandement de l'ANP, alors qu'il n'y a aucun passage ni aucune allusion qui pourrait accréditer cette lecture. «Benhadid a exprimé une opinion. C'est un détenu politique», lance Me Mechri. Les circonstances de la poursuite et de l'incarcération de Hocine Benhadid ressemblent étrangement à celles de la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune. En effet, celle-ci avait été convoquée par les officiers de la DSI qui, après l'avoir entendue durant plus de cinq heures, l'ont relâchée. Vingt-quatre heures après, elle a reçu une convocation comme témoin au tribunal militaire de Blida. Dès son entrée, elle est filmée à son insu et les images sont diffusées par la chaîne de télévision publique puis reprises en boucle par toutes les chaînes privées, alors que sa mise sous mandat de dépôt est annoncée par l'une d'entre elles une heure avant qu'elle quitte le bureau du juge. Tout comme Hocine Benhadid, Louisa Hanoune a fait l'objet de violentes attaques non seulement sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les plateaux des médias privés. A-t-elle tort de ne pas s'inscrire dans la logique d'une élection présidentielle le 4 juillet prochain et d'appeler à une Constituante ? Louisa Hanoune est poursuivie pour les mêmes chefs d'inculpation retenus contre Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président déchu, et les deux généraux à la retraite, Mohamed Mediène et Bachir Tartag, à savoir «complot contre l'autorité de l'Etat et de l'armée». Si l'on se réfère aux déclarations officielles du vice-ministre de la Défense nationale, les trois accusés auraient participé, le 30 mars dernier, à une réunion pour «comploter contre l'armée et l'Etat». Or, à cette date précise, le président Bouteflika n'avait pas encore démissionné et Saïd Bouteflika ainsi que Bachir Tartag (conseiller à la sécurité, coordinateur des services secrets) étaient en activité. A supposer que Louisa Hanoune ait pris part à cette réunion, où se situe le complot ? Elle est dans son rôle de chef de parti politique qui rencontre tout le monde, sans exception, pour faire une analyse ou pour apporter sa contribution à une sortie de crise. Son inculpation parce qu'elle aurait rencontré ces personnalités fait d'elle effectivement une détenue politique. Tout comme le général Benhadid, qui se retrouve également en prison, pour avoir exprimé son opinion. Est-ce le retour au bâillonnement de la parole ? En tout cas, tout porte à le croire. Les vieillîtes de fissurer le mouvement de protestation, de réduire ses capacités de mobilisation sont de plus en plus visibles. Leur but est de faire peur à toutes les voix opposées à celles des tenants du pouvoir, plus précisément l'état-major de l'armée. Si des millions d'Algériens battent le pavé chaque vendredi depuis trois mois, c'est justement pour réclamer plus de liberté. La solution à la crise politique que traverse le pays ne peut venir d'une seule partie, qui de surcroît peine à trouver la voie du dialogue avec la société civile et les personnalités politiques.