A l'instar du statut des magistrats, objet d'une loi organique promulguée le 6 septembre 2004, le statut des avocats a été refait à maintes reprises ces quarante dernières années. Ces deux importantes professions qui forment les piliers porteurs, pourrait-on dire, de l'institution judiciaire, ont évolué de manière parallèle et quasi concomitamment. La presse a annoncé que, suite à un compromis intervenu entre le Conseil national de l'Union des avocats et le ministère de la Justice, sur quelques dispositions litigieuses d'un projet de loi portant organisation de la profession d'avocat initié par ce département ministériel, une mouture finale de ce texte serait prochainement soumise à l'adoption du Parlement. A l'instar du statut des magistrats, objet d'une loi organique promulguée le 6 septembre 2004, le statut des avocats a été refait à maintes reprises ces quarante dernières années. Ces deux importantes professions qui forment les piliers porteurs, pourrait-on dire, de l'institution judiciaire, ont évolué de manière parallèle et quasi concomitamment. Les modifications apportées aux textes statutaires de l'une d'elles étaient presque systématiquement suivies, à plus ou moins brève échéance, par des changements dans l'autre. Pour autant, ces évolutions n'ont pas toujours été, pour l'une comme pour l'autre professions, linéaires, et si beaucoup d'entre elles sont positives et constituent des avancées, il y a eu aussi des rechutes. C'est ce que l'on va essayer de faire apparaître, dans cette courte étude comparative. La profession d'avocat a fait l'objet d'un nombre impressionnant d'ordonnances et de lois ; il y a eu une ordonnance en 1965, une autre en 1967, une troisième en 1971, une quatrième en 1975 et une loi en 1991 ; et ce n'est pas fini : une autre loi est, comme on l'a dit, en cours d'adoption. Une lecture cursive de tous les textes, portant organisation de la profession d'avocat déjà pris, permet de relever ces quelques observations. Les fondamentaux de cette profession sont constants : la profession est toujours restée libérale, contrairement à celle des huissiers et des notaires, autres professions « auxiliaires de justice » fonctionnarisées pendant une trentaine d'années. Elle s'est fermement et jalousement accrochée à son indépendance vis-à-vis non seulement du pouvoir exécutif et de son représentant, le ministre de la Justice, mais aussi de la fonction puis du pouvoir judiciaire et plus particulièrement des magistrats du ministère public. La corporation se gère et s'auto-administre elle-même. Elle a sa propre juridiction disciplinaire et refuse en particulier, en cette matière, toute ingérence de quelque autorité que ce soit. Mais cela dit, on observera que maintes tentatives de remettre en cause ces fondamentaux ont eu lieu, notamment à travers une éventuelle mise sous une tutelle ministérielle de la profession. On a aussi essayé de prendre des mesures tendant à élargir, dans le domaine disciplinaire, les possibilités d'agir du parquet. Il y a eu également des velléités, très éphémères, de tarification des honoraires des avocats. A cet égard, force est de constater que la justice, que « tout le monde veut rapprocher du justiciable », est en train, dans la réalité des faits, de devenir de moins en moins accessible pour les justiciables, tant les taxes, tarifs, frais émoluments et autres honoraires sont élevés. Enfin très récemment, dans une disposition du nouveau code de procédure civile et administrative, on a soumis l'avocat à l'obligation de produire une procuration de ses mandants, c'est-à-dire de ses clients ; cette mesure, qui a subi un feu roulant de critiques, aurait fait l'objet, dit-on, d'un compromis pour en geler l'application. Des changements ont fréquemment été apportés à la structuration de la profession : parti d'un Ordre national avec un bâtonnier national, on est passé ensuite à des Ordres régionaux avec des secrétaires de l'Ordre, puis à une « Union nationale » constituée par les Ordres régionaux et présidée par un « coordonnateur », pour revenir enfin à la bonne vieille appellation de bâtonnier national et de bâtonniers régionaux ; mais on ne sait pas très précisément les enjeux, patents ou cachés, qui sont derrière ces querelles sémantiques ou de vocabulaire. Aujourd'hui, il semblerait que l'urgence serait de limiter le mandat du bâtonnier à deux mandats au maximum, et les avis sont, bien entendu, divergents. Le serment des avocats a suivi la même évolution que celui des magistrats : d'un serment strictement professionnel, on a glissé en 1975 vers un serment « politisé » par lequel l'avocat était tenu de jurer, « par Dieu… de défendre les principes et les acquis de la révolution socialiste » ! On a fini par revenir, en 1991, à un serment plus professionnel, même si certaines formules de ce serment ont une connotation religieuse et conforme à l'ambiance de religiosité qui caractérise le pays depuis deux décennies. On remarque aussi que la durée du stage des postulants à l'inscription au barreau, qui était de trois années, a été réduite à un certain moment à neuf mois ; le stage fut même supprimé à une certaine période et remplacé par un service civil de trois années, puis rétabli pour une période plus courte mais cumulée avec celle du service civil. Enfin il a été décidé de le faire précéder d'une formation pour l'obtention du CAPA, formation spécifique et post-universitaire sanctionnée par un examen… Va-t-on vers l'établissement d'un « numerus clausus » ? La profession a-t-elle fait le plein ? Cherche-t-elle à se fermer ? Ce sont des questions que l'on peut se poser… On terminera ce rapide regard sur l'évolution générale des textes régissant la profession d'avocat par une note optimiste en soulignant le fait que la profession a su s'adapter à son temps. En effet, avec l'apparition des cabinets d'avocats, des sociétés civiles d'avocats, des avocats d'affaires, des avocats conseils, des avocats d'entreprises, la profession est en train de se transformer lentement mais sûrement ; l'image quasi caricaturale de l'avocat « défenseur de la veuve et de l'orphelin », qui s'affaire revêtu de sa robe noire dans les couloirs des tribunaux, s'estompe petit à petit dans une institution judiciaire elle-même en mutation. Le statut des magistrats et bien évidemment les dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature ont eux aussi connu de 1969 à ce jour des évolutions avec des hauts et des bas, des avancées et des reculs. Cela peut se vérifier au niveau du contenu du serment que doivent prêter les magistrats : ce serment très « technique » à l'origine a été « politisé » par le statut de 1969, puis franchement dépolitisé et davantage professionnalisé par le statut de 1989. C'est logique : il est désormais interdit aux magistrats d'être membres d'un parti politique ou d'avoir une activité politique. Mais le serment prévu dans le statut de septembre 2004 est, comme du reste de certaines considérations de la charte de déontologie du magistrat de 2007, remarquable par sa connotation religieuse ; il est vrai que pour certains la magistrature serait plus qu'un métier : elle serait un véritable sacerdoce ; ce qui est évidemment un point de vue contestable, pour qui sait en quoi consiste le travail des magistrats et les divers types d'affaires dont ceux-ci sont quotidiennement saisis. Statuer dans des affaires civiles, commerciales, maritimes, sociales ou administratives n'a en effet rien d'un rite ou d'un quelconque acte religieux. Au pénal, il y a bien longtemps que les sanctions du droit positif se sont substituées à la pratique du talion, à l'amputation, à la lapidation publique et à la flagellation…En tout cas, la formulation de l'actuel serment des magistrats est tout à fait conforme à l'air du temps. Il est vrai que naguère, quand l'idéologie socialiste était dominante, le serment avait une connotation révolutionnaire prononcée ! Les temps et les modes ont changé, les formules de prestation du serment aussi. Il faut observer en outre que le principe de « l'inamovibilité des magistrats du siège » qui fut reconnu en 1989, avec quelques tempéraments, a été remplacé depuis 2004 par « un droit à la stabilité » relatif. On remarque que le droit syndical est reconnu aux magistrats ; il est cependant sérieusement limité par l'interdiction de faire la grève, qui est, pour tout syndicaliste, quelque chose de consubstantiel au droit d'être syndiqué. De même, on est frappé par les changements intervenus dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature, composition qui n'a jamais été ni paritaire ni majoritaire du point de vue des magistrats, et on est frappé par le fait que les attributions de ce même conseil sont surtout disciplinaires. On note par ailleurs que ce conseil fonctionne en circuit fermé ; ses réunions et même ses travaux sont secrets. On ne peut s'empêcher aussi de remarquer que ce conseil est davantage un organe consultatif qu'un organe délibérant ; même quand il statue en tant qu'organe disciplinaire, il ne tranche pas comme les autres juridictions ordinales connues ; l'autorité investie du pouvoir de nomination n'est pas tenue de suivre son avis. Ma dernière remarque portera sur l'alinéa 2 de l'article 32 du statut de la magistrature, aux termes duquel les magistrats « … doivent toujours se conduire de manière à préserver… l'indépendance de la magistrature ». Il y a là une sorte d'inversion des choses ; l'indépendance de la magistrature qui, plus qu'une simple revendication corporatiste, est un droit fondamental des citoyens, est transformée, par un tour de passe-passe, en un devoir à la charge des magistrats ! Le moins que l'on puisse dire en tout cas, c'est là une conception particulièrement insolite de l'indépendance de la justice. S. Z. : Ancien magistrat