A l'occasion de la Journée nationale de l'artiste, la place des Martyrs de Tiaret a été investie, hier, par des citoyens épris de liberté et avides de s'approprier les fêtes qui devraient être d'essence populaire et non point dévolues aux seuls officiels. Singulières cérémonies, hier (samedi), au pied du platane bicentenaire au cœur de la ville de Tiaret, place des Martyrs, où a été pendu le chantre de la musique algérienne, le chahid Ali Maâchi, et ses deux compagnons, Djillali Bensotra et Mohamed Djahlène, le 8 juin 1958, par la horde colonialiste. Si à 8 heures pile, le chef de l'exécutif, flanqué de son staff, a mis cinq minutes pour s'acquitter d'un protocole inédit au milieu d'un impressionnant dispositif sécuritaire, juste le temps d'entendre entonner la première strophe de l'hymne national, lire la «fatiha», déposer une couronne de fleurs et s'éclipser, ce sont les gens du «hirak» qui vont se distinguer une heure plus tard. A 9 heures, des centaines de personnes vont affluer, et au prix d'un difficile deal avec des officiers de police, ces manifestants, affiliés au «hirak», ont pu lever une seconde fois les couleurs et entonner à gorge déployée l'hymne national et déposer une belle gerbe de fleurs en signe de reconnaissance à un enfant de l'Algérie. C'est d'ailleurs un proche cousin de Ali Maâchi, Chaïb, un infatigable militant de gauche, épaulé par un jeune, qui va déposer les fleurs au pied du majestueux et mythique arbre. S'ensuivit un bras de fer qui démontre toute la nature du régime, qui ne veut point abdiquer avec le protocole jusque-là en cours dans le pays depuis 61 ans. La place des Martyrs, une fois n'est pas coutume, a été investie par des citoyens de Tiaret épris de liberté et avides de s'approprier les fêtes qui devraient être d'essence populaire et non point dévolues aux seuls officiels. Cet affront a coûté du temps et de la salive, après que les policiers ont interpellé deux jeunes du hirak pour les auditionner. Certains diront qu'ils allaient juste passer un examen de situation. Inutile de décrire l'atmosphère qui a régné hier matin à la place des Martyrs. Une fois n'est pas coutume, le peuple, qui n'a pas oublié le martyre de l'enfant de Rass Essoug, qui a marqué de son empreinte indélébile sa présence dans un lieu de triste mémoire, mais un lieu qui fait office, depuis le 22 février, de point de convergence de toutes les actions politiques. L'action populaire initiée revêtait une importance telle que le commun des Tiarétis s'était mis à rêver d'une 2e République. Alors que des citoyens attendaient l'apparition des deux jeunes hirakistes que les policiers auditionnaient au commissariat, d'autres devisaient sur la suite à donner à la mobilisation en cours et d'autres apportaient leurs témoignages sur l'odieux crime commis le 8 juin 1958 à Tiaret. «Ce jour-là, vers 17h20, alors qu'il avait été arrêté et torturé, le chanteur et deux autres camarades, Djillali Bensotra et Mohamed Djahlène, sont assassinés par un milicien de l'armée française à l'entrée des pins, non loin de son quartier, selon la méthode dite «corvée de bois». Les bourreaux suspendent par les pieds les trois cadavres aux platanes sur l'ex-place Carnot (place des Martyrs actuellement). Ils seront ainsi exposés jusqu'au lendemain sous le regard de la population forcée à assister au triste spectacle», témoigne son biographe attitré, notre collègue Amar Belkhodja. Soixante et une années après, l'on ne sait toujours pas où est enterré Ali Maâchi, celui qui est resté célèbre par ses «anghams eldjazair», cette ode dédiée à l'Algérie plurielle et diversifiée et, bien que les pouvoirs publics lui aient rendu hommage en décrétant le 8 juin Journée nationale de l'artiste, il serait illusoire de croire, en dépit de certaines avancées, que l'art se porte bien. Témoins de cette offense, la destruction de l'Ecole de théâtre de Tiaret pour l'offrir à un promoteur immobilier et l'affectation d'un des trois cinémas de la ville à un autre investisseur.