dimanche 9 juin, il est tout juste 10h. Le bleu de la mer s'offre brusquement à partir d'Oued Charka, sur la RN 85 pour annoncer les couleurs de la ville de Collo. Les couleurs d'une cité antique, une perle. Seulement, la verdure de la presqu'île en ce jour ensoleillé et le bleu de sa côte s'effacent comme par lassitude devant un immense nuage grisâtre qui semble pousser, tel un gigantesque champignon de Boumhadjer, une agglomération de la banlieue sud de la ville. Boumhadjer qu'on identifie désormais à son immense décharge, s'allongeant sur un large périmètre qui bouffe l'espace et asphyxie le ciel de l'une des plus belles régions touristiques du pays. «Témoignez de ce que nous endurons. Sentez cette odeur que les vents transportent. Regardez ces fumées qui émanent de cette décharge», s'insurge rapidement un des habitants de Boumhadjer. Ces odeurs nauséabondes nous avaient accompagnées dès l'entame de la déviation servant de seconde entrée de la ville de Collo, tout comme ces fumées qui dansent au gré des vents en changeant souvent de direction comme pour nuire au maximum de citoyens. Les déchets débordent même de la soi-disant clôture, faite de fils barbelés attachés aveuglement à des piquets hauts seulement de 1 m pour venir jalonner l'asphalte de la route, d'un côté, et d'interminables terres agricoles, de l'autre. Non-assistance à citoyens en danger «D'habitude, ces déchets étaient souvent incinérés durant la nuit, comme pour cacher les fumées, mais aujourd'hui voilà qu'on les brûle en plein jour», poursuit notre guide. Ici, l'incinération des déchets a toujours été une pratique courante. Une solution facile à laquelle on recourt dès que des déchets commencent à s'entasser. On réduit ainsi le volume des déchets pour charger le ciel de Collo de particules nuisibles, voire toxiques. Dans cette décharge, où le tri n'a jamais été considéré ni pratiqué, on trouve des cadavres de bêtes, des déchets ménagers, des décombres et des tonnes de plastique. Un véritable cocktail qu'on brûle sans se soucier, produisant pestilence et fumées. Ici, des jeunes s'occupent à ramasser quelques bricoles à revendre, et d'autres à charger des camions de plastique. «Il est même arrivé qu'on brûle ces déchets en pleine saison estivale, plongeant la ville, ses habitants et ses visiteurs dans une atmosphère irrespirable», ajoute notre guide. Les habitants de Boumhadjer et ceux du village Ramoul, incrusté en aval, restent les plus exposés. Les demeures des premiers habitants cités sont carrément à moins de 50 m de cette décharge. L'odeur spécifique des déchets fait désormais partie de leur quotidien et les fumées, rendant l'air respirable, viennent souvent en rajouter à leur marasme. Ils ont tenté de lutter et n'ont jamais cessé de dénoncer la situation qu'on leur impose. Ils ont manifesté et saisi les autorités locales. Ils ont sensibilisé leurs élus, interpellé le directeur de l'environnement, barricadé des routes, écrit mille et une doléances, mais personne n'est venu à leur rescousse. Peut-être, sont-ils une quantité négligeable ? Des sous-citoyens ? El Manara, l'association écologique de la ville de Collo, n'a cessé, elle aussi, de dénoncer les méfaits de cette décharge en rappelant, des années durant, les dangers de cette situation sur la santé publique de toute une région. Selon des habitants de la ville de Collo, lorsque la brise marine souffle, les fumées chargées de poussière et d'autres particules ont souvent tendance à empester de grandes étendues au sud de la ville, mais à la première poussée des vents de terre, c'est cette même ville et ses habitants qui se retrouvent à suffoquer. «C'est une situation qui ne date pas d'hier. Cela fait près de 20 ans que nous subissons les affres de l'inertie des responsables, surtout ceux chargés du devenir de la wilaya de Skikda. On a l'impression qu'on ne se rappelle de l'existence de Collo et de sa population que lors des campagnes de vote. Ces responsables, qui aiment tant à parler de notre ville quand ça les arrange, n'ont même pas été capables de concrétiser le projet d'un centre d'enfouissement technique(CET) initié…en 2007 !», témoigne un Colliotte. Une promesse «fantôme» vieille de 12 ans ! En 2007 donc, les responsables de la wilaya étaient venus en grande pompe annoncer aux habitants de Collo qu'ils allaient enfin en finir avec les incommodités de la décharge de Boumhadjer. Cette dernière devait ainsi être délocalisée vers un autre site sous forme d'un centre d'enfouissement technique. Cette promesse ne s'est jamais concrétisée. «Le projet a connu d'interminables péripéties liées essentiellement au refus catégorique des habitants des régions devant l'abriter», explique un cadre de l'APC de Collo. En effet, le projet n'a cessé de balancer d'une région à une autre et de susciter, à chaque fois, de farouches oppositions des riverains. A plusieurs reprises, les habitants de Yezzar, dans la commune de Chraïaa, ceux de Laâzilat, dans la commune de Béni Zid, et de Zourek, dans la commune de Zitouna, et enfin les citoyens de Loubir, dans la commune de Collo, étaient à chaque fois sortis, avec femmes et enfants, pour signifier leur refus de «ramener les déchets de Boumhadjer» sur leurs terres, et certains iront jusqu'à barricader des routes et à s'attaquer aux engins dépêchés pour entamer les travaux. «Les habitants de ces régions ont a priori raison d'agir ainsi et on ne peut les blâmer. Nous estimons plutôt que ce dossier a été très mal géré par l'administration de la wilaya, qui a été incapable de présenter son propre projet et d'expliquer son mode de fonctionnement pour mieux sensibiliser les habitants des régions choisies. On ne vient pas comme ça avec ses engins pour implanter une décharge sans prendre le temps d'aller d'abord vers les habitants. Aujourd'hui, on se demande même ce que faisaient les élus de la région de Collo, les députés surtout, et s'ils avaient réellement un ancrage dans leur propre fief», juge un Colliotte. Entre-temps, on n'entendra plus parler du fameux projet de CET de Collo, au moment où les déchets continuaient à s'entasser à Bouhmadjer et à infester le ciel de la ville de Collo, au grand dam de ses habitants, de son environnement et de sa beauté.