La démocratisation complète de la ligue prendra certainement du temps, cela d'autant qu'elle reste tributaire de la démocratisation des Etats qui y siègent. Le monde arabe se réveillera, aujourd'hui, sur une organisation (la sienne, Ndlr) rénovée et placée sur le cap de la démocratie. Toutes les réformes structurelles destinées à concilier la ligue avec les impératifs d'un fonctionnement démocratique, inscrites à l'ordre du jour du sommet arabe d'Alger, ont été adoptées hier, 2e et dernier jour du sommet. Les amendements apportés à sa charte donneront néanmoins la possibilité aux Arabes de commencer, d'ores et déjà, à redéfinir leurs rapports avec le monde et, surtout, à repenser l'interaction qui prévalait, jusque-là, entre leurs Etats arabes et leurs sociétés. Une corrélation excluant encore dans de nombreux Etats la participation des sociétés civiles à la prise de décisions politique et économique. Le premier "acquis démocratique" de ce sommet aura été de consacrer un mécanisme de prise de décisions fondé sur un système de vote. Celui-ci présente l'avantage de rompre avec la vieille tradition du consensus. Une habitude handicapante, veille de 60 ans, à l'origine de l'inefficacité coutumière caractérisant l'organisation panarabe. L'autre nouveauté réside dans l'institution d'un Parlement arabe à Damas et la création d'un comité de suivi des décisions. Ce dernier mécanisme devrait permettre à la ligue de gagner en crédibilité et en efficacité, dans la mesure où il est chargé de veiller à l'application des résolutions de l'organisation panarabe. Comme il fallait s'y attendre, ces réformes, soutenues à leur lancement par un groupe restreint de pays, n'ont pas été reçues de gaieté de cœur par certains leaders arabes. Ainsi, il ne faudra certainement pas compter sur le soutien du dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, pour faire aboutir le processus de refondation de la ligue sur des bases démocratiques. Dans une allocution prononcée, hier, à la reprise du 2e jour des travaux du sommet, Mouammar Kadhafi a presque maqué de qualifier d'hérésie la démocratie. Le dirigeant libyen qui était, comme à l'accoutumée, encadré par ses "Amazones" en tenues miliaires réglementaires et chevelures au vent, a considéré comme "scandaleux" de débattre de la problématique du voile. Dans son discours truffé de contradictions, il qualifiera aussi de "stupides" les promoteurs de la démocratie dans le monde arabe. Visiblement ébranlé par le discours, prononcé la veille, au cours duquel le président Bouteflika a sévèrement tancé les dirigeants arabes toujours séduits par les modèles stalinien et féodal, Mouammar Kadhafi a failli, également, causer un incident diplomatique en se montrant persuadé, en présence du secrétaire général de l'ONU, que le Conseil de sécurité est la première grande organisation terroriste, après El Qaïda. Le dirigeant libyen qui pensait être devant un auditoire acquis à sa cause regrettera certainement, plus tard, avoir pris la parole. Car, en plus de la désapprobation apparente qui se lisait sur les visages des Chefs d'Etat arabes et des représentants de la presse internationale, il a eu droit à une nouvelle mise au point de M. Bouteflika. Sur un air de plaisanterie, le président algérien n'a pas raté l'occasion de faire comprendre au dirigeant libyen que son ère était révolue. Abdelaziz Bouteflika a souligné, en outre, que la responsabilité, aujourd'hui, dicte aussi de laisser les jeunes Arabes "décider de leur avenir démocratiquement". Une telle remise à l'ordre, faut-il le reconnaître, était impensable il y a quelques années à peine.