Enième diversion. Les recteurs et chefs des établissements universitaires sont instruits d'utiliser l'anglais dans les en-têtes des documents officiels. Dans une correspondance datée du dimanche 21 juillet 2019, le ministre de l'Enseignement supérieur, Bouzid Tayeb, exhorte les responsables des universités d'utiliser l'arabe et l'anglais dans les en-têtes de leurs correspondances et documents officiels pour «une meilleure visibilité des activités académiques et scientifiques» des universités. La décision prise par l'ancien recteur de l'université de Batna 2 (2015-2019) s'inscrit dans le cadre d'un projet qui lui tient à cœur depuis sa prise de fonction, le 1er avril dernier : remplacer progressivement le français par l'anglais. Sur sa page Facebook, le ministre a en effet annoncé, en juin dernier, le lancement d'un sondage pour le renforcement de la place de l'anglais aux dépens de l'autre langue étrangère, le français. Périodiquement, il rend publics les résultats chiffrés de son «National poll» (sondage national) sans expliquer étrangement la méthode utilisée ! Enfonçant le clou, Bouzid Tayeb avait déclaré le 8 juillet à l'université Mentouri de Constantine que «le français ne vous mène nulle part !» Il précise que sa décision a été prise suite «à la demande des étudiants qui veulent que leurs diplômes soient reconnus à l'étranger, au Japon à titre d'exemple». Appartenant à la première promotion d'enseignant d'anglais de l'Algérie indépendante, le pédagogue Ahmed Tessa parle de «pure populisme d'un monolingue frustré de ne pas avoir maîtrisé le français durant sa scolarité». «Il (le ministre) s'imagine anglophone. Ah, la bonne blague ! C'est comme si moi francophone bon teint je me proclame demain arabisant pur jus. Il veut nous faire revenir aux années 1990/91 quand les wahhabites saoudiens et qataris demandaient à leurs partisans algériens d'exiger l'anglais à la place du français. C'est un combat d'arrière-garde pour cacher le vrai problème : comment expliquer la faillite de l'enseignement des langues, y compris de l'arabe ? Question taboue depuis quatre décennies», estime l'auteur de L'impossible éradication de l'enseignement du français en Algérie (Ed. Barzakh). Pour M. Tessa, les pro-anglais ont tous inscrit leurs enfants dans les classes francophones et dans les écoles privées et le lycée français Alexandre Dumas d'Alger. «Ils savent que la sociolinguistique s'oppose scientifiquement à cette croisade antifrançais. Je lance un défi aux partisans de cette folie pour un débat pédagogique et scientifique sur tous les plateaux TV. C'est un massacre programmé de nouveau. Ce sont aussi l'arabe et tamazight qui vont payer le prix», s'alarme-t-il. «Démarche illégale» Le syndicaliste du CNES, Abdelmadjid Azzi, confronté à la réalité de l'enseignement des langues à l'université, estime que la décision du ministre est «ridicule». «Il peut même les faire (en-têtes) en chinois, ce n'est pas comme ça qu'on renforce la langue anglaise», assène-t-il. Des observateurs s'interrogent sur la pertinence d'une décision «illégale» prise par un membre d'un gouvernement «illégitime». La Constitution algérienne recense deux langues nationales officielles : l'arabe et le tamazight. Si M. Bouzid ignore royalement cette dernière, il ne fait pas trop cas de la Loi fondamentale qui exige dans son article 2 d'œuvrer à «l'épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu'à l'encouragement de la traduction vers l'arabe à cette fin». Le ministre ignore également les instructions de l'Etat, qui exige de rédiger les documents officiels en arabe. Pire, il lui adjoint une autre langue, a fortiori étrangère : l'anglais. Des experts ont adressé au ministre des questions auxquelles il ne semble pas prêt à répondre : quel a été le bilan de l'arabisation et celui des différents départements des langues à travers le pays (ENS, ILE, etc.) ? Quels sont les moyens humains et matériels que le département de Ben Aknoun (Alger) compte mettre en place pour «renforcer» l'enseignement de l'anglais ? Et pourquoi un tel débat alors que l'université souffre d'autres maux ? Un coup d'œil au site du ministère (www.mesrs.dz) renseigne sur le sérieux de la démarche de Bouzid Tayeb : les rubriques sont presque exclusivement en arabe et en français alors que la partie réservée à l'anglais se résume à des titres mal traduits.