Alors que depuis les premières années post-indépendance, l'Algérie était confrontée à une production de céréales jamais égalée auparavant, il se trouve qu'à quelques semaines des premières moissons, les céréaliculteurs serrent les dents. Les moissons de l'année 2009, qui auraient largement dépassé les 65 millions de quintaux, sont encore en train d'encombrer les silos de l'ensemble du pays. L'alternative d'un usage domestique pourrait sauver la prochaine campagne et renforcer l'autosuffisance alimentaire. Il suffit d'en payer le prix. Il est évident que la moisson record de 2009 aura pris de court les autorités et les opérateurs économiques du pays. Contre toute logique, alors que les céréales débordaient de partout, on aura noté dès l'automne une grosse commande auprès des fournisseurs habituels. Au lieu de se pencher sur cette récolte exceptionnelle, en vue d'un usage raisonné allant dans le sens des intérêts du pays et de ses agriculteurs, on s'est laissé emporter par les vieux réflexes. Si bien qu'à la vue des immenses champs de blé qui commençaient à poindre à travers les grandes zones de production, on s'est alors rendu compte que non seulement la prochaine récolte allait dépasser les records précédents, mais que le pays n'était pas en mesure de faire face à cette richesse que personne n'attendait. C'est dans cette ambiance délétère et totalement anachronique que le premier responsable de l'OAIC lancera un premier ballon d'essai à l'intention des meuniers privés, qui rechignaient à s'approvisionner auprès de son organisme. Un véritable bras de fer s'engagea, avec menaces à l'appui, de ne plus faire bénéficier les opérateurs privés du circuit de l'OAIC. C'est alors que l'on s'est rendu compte que la récolte de 2009 était encore dans les silos et qu'une grande partie était constituée d'orge dont personne ne voulait. Cette situation paradoxale demeure à ce jour inexplicable pour les producteurs qui auront redoublé d'efforts afin que la récolte de 2010 soit une confirmation de la précédente. L'importation mise à mal Selon de nombreux observateurs avertis, il n'est pas exclu qu'au vu de l'état des parcelles, les moissons pourraient dépasser toutes les prévisions. Car personne ne leur aura expliqué que les contrats d'achat de blé auprès des traders étrangers sont pluriannuels. Ils peuvent s'étaler sur 3 à 5 ans, avec la possibilité pour le client d'échelonner ses enlèvements en fonction de ses besoins. Pendant que les moissonneuses batteuses s'échauffent du coté de Aïn Témouchent et de Mostaganem, les zones les plus précoces de l'Algérie du Nord, les fellahs de l'intérieur du pays scrutent l'horizon. Les dernières pluies d'avril et de mai auront été d'un apport considérable dans la formation des grains. Les premiers épis d'orge et de blé tendre commencent à pencher dangereusement vers le sol. Assurément, les rendements seront par endroits supérieurs à 60, voire à 70 qx/ha. De quoi faire réfléchir tous les opérateurs d'ici et d'ailleurs. Car il n'aura échappé à personne que depuis les mesures de soutien à la céréaliculture, notamment avec des prix d'achat largement supérieurs à ceux en vigueur sur le marché mondial, céréaliculture ayant bénéficié des espaces réservés habituellement à la pomme de terre et aux maraîchages. Le constat fait au niveau de Tiaret, Maghnia, Sidi Bel Abbès et Tiaret est très instructif à cet égard. Les bonnes terres ne sont plus l'apanage des cultures spéculatives. C'est pourquoi les rendements en céréales risquent de faire mal à l'importation. Par contre, en ce qui concerne les orges, contrairement aux blés dur et tendre, la récolte de l'année dernière n'aura pas été utilisée à bon escient. On sait que cette céréale à cycle court sert essentiellement à l'alimentation animale. Il se trouve qu'on continue de privilégier l'alternative de l'exportation, oubliant que depuis un demi-siècle, l'Algérie a déserté le marché à l'export et qu'il n'est pas donné au premier venu de vendre sur ces places dominantes. Chez les spécialistes, on préfère lorgner du côté d'un usage domestique de ces millions de quintaux d'orge qui encombrent dangereusement les silos. Parmi les chercheurs de l'ex-ITA de Mostaganem, on met en relief l'énorme travail expérimental effectué dans la substitution du maïs par l'orge. L'orge au secours de l'élevage En effet, dans l'alimentation du poulet de chair et de la poule pondeuse, le remplacement intégral du maïs par l'orge locale aura donné les mêmes performances de croissance et de production. Sans entraîner la moindre perturbation chez les animaux. Seulement, aucun organisme spécialisé en aviculture ne daignera se passer du maïs dont la totalité est importée à coups de devises fortes. Ils sont très nombreux à soutenir que la première des solutions pour absorber les énormes quantités d'orge serait d'en nourrir les milliers d'élevage avicoles du pays. Mais personne ne se fait d'illusions à ce sujet ; sans une décision politique forte, qui songerait à cesser l'achat de maïs étranger ? De leur côté, les gros producteurs de Tiaret, Sétif, Guelma, Annaba et Constantine se sont rencontrés pour la première fois à l'Est du pays. Outre les échanges d'expériences, ils ont mis à profit cette rencontre pour rappeler que la filière est à la croisée des chemins. Personne parmi la quarantaine de céréaliers présents n'aura oublié de souligner que les rendements pourraient augmenter et se rapprocher de ceux des pays performants si les services concernés mettaient un peu d'ardeur dans l'approvisionnement en intrants. En effet, depuis quelques années, la filière se trouve confrontée à des livraisons tardives de semences, d'engrais et de produits phytosanitaires. L'exemple de l'infestation des champs par la tache auréolée, rapporté par El Watan dans son édition du 29 mars dernier, est cité en exemple. Si une grande partie de la récolte a été sauvée, c'est bien parce qu'à l'époque, de hauts responsables étaient intervenus pour faire sortir 8500 litres de fongicides qui étaient bloqués au port d'Alger. Cet exemple n'est pas le seul, loin s'en faut. A l'évidence, les fellahs, grâce à une mobilisation sans faille et au réel soutien de l'Etat, sont en train de relever le défi de l'autosuffisance alimentaire. Déjà, on signale çà et là des transferts d'orge vers les zones pastorales. L'opération devra soulager les silos du Nord et rassurer les fellahs quant à une implication sans faille de l'Etat dans cette opération de longue haleine. Avec le temps, il sera toujours possible d'inciter les fellahs à diversifier leurs cultures et à remplacer l'orge par des céréales plus nobles.