Le président Bouteflika et le roi Mohammed VI ont tenu, jeudi dernier, un tête-à-tête absolu d'une durée de deux heures. Absolu car aucune information sur la teneur de leurs discussions n'a filtré. En dehors d'une dépêche laconique de l'APS, lue à la télévision, annonçant le déroulement de la rencontre et la diffusion d'images du roi Mohammed VI recevant le président Bouteflika, dans la plus pure tradition marocaine, à la résidence d'Etat de Zéralda, lieu d'hébergement de la délégation royale durant les travaux du sommet arabe d'Alger, le contenu du tête-à-tête, destiné à faire le point sur « les relations bilatérales et les questions d'intérêt commun », est frappé du sceau « secret confidentiel ». En dehors des photographes et des cameramen de la télévision, invités pour immortaliser l'événement, aucun journaliste de la presse indépendante n'a été autorisé à couvrir la rencontre. Les officiels des deux pays ne seront pas logés à une meilleure enseigne car eux aussi seront tenus à l'écart des discussions. A l'issue de cet ultime entretien avec le Président algérien (officiellement le second durant son séjour à Alger), Mohammed VI a regagné le Maroc, achevant ainsi sa première visite en Algérie depuis son intronisation en 1999. La décision du Président algérien et du souverain marocain de mettre hors coup, cette fois, leur entourage s'est déjà fait ressentir au niveau de la presse marocaine, habituellement abondamment « sourcée » lorsqu'il est question des relations avec le voisin algérien. En l'absence d'éléments de cadrage, la plupart des médias marocains donnaient l'impression, dans leur édition d'hier, d'avoir sué pour trouver un angle d'attaque convenable pour rendre compte de l'événement. A l'exception du quotidien L'Opinion qui a préféré figer son édition électronique sur l'altercation verbale d'il y a une semaine entre l'ambassadeur du Maroc à Genève et son homologue algérien sur la question du Sahara-Occidental, l'ensemble de la presse s'est contenté de saluer l'événement et de s'en tenir - déclarations de Belkhadem et de Benaïssa à l'appui -à des lectures optimistes. Les articles les plus prudents - consacrés au tête-à-tête Bouteflika-Mohammed VI - ne se priveront pas, toutefois, de s'interroger sur la viabilité de la nouvelle dynamique de réchauffement entre Alger et Rabat, amorcée en marge des travaux du sommet d'Alger. Tout comme leurs confrères algériens, les journalistes marocains ne manqueront pas aussi de rappeler, par la même occasion, la complexité des nombreux contentieux entre les deux pays laissés en suspens. Cela en plus du conflit pendant du Sahara-Occidental, qui continue à miner les relations entre les deux pays. Au moment où les deux responsables algérien et marocain tenaient leur aparté, les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont entretenus à l'hôtel Sheraton. Contrairement à leurs habitudes, les deux diplomates ont évité la presse. Si Abdelaziz Belkhadem et Mohamed Benaïssa ne sont pas allés jusqu'à quitter l'hôtel Sheraton par la porte de service pour garder secret le contenu de leurs discussions, il semble bien que le black-out imposé, jeudi, sur l'actualité des relations algéro-marocaines s'érige en ligne de conduite à l'avenir. Des sources diplomatiques occidentales expliquent la grande discrétion entourant les rencontres entre les dirigeants algériens et marocains par le souci d'Alger et de Rabat d'instaurer la sérénité nécessaire à la refondation, sur de nouvelles bases, de leurs relations bilatérales et de celles de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Ce processus de refondation, conduit, dit-on, personnellement par Bouteflika et Mohammed VI et décidé il y a peu de temps, permettra de mettre à plat les problèmes et d'explorer les moyens à même de permettre le lancement d'une coopération durable fondée sur le pragmatisme et la prise en compte des intérêts mutuels. Cette démarche - acceptée aujourd'hui visiblement par tous - a été l'une des issues proposées l'automne dernier par l'Algérie à son voisin pour dépasser le statu quo. Celle-ci suppose un profond bouleversement des relations bilatérales. Les éléments renseignant sur la volonté des deux pays d'aller de l'avant sont perceptibles, mentionne-t-on, autant dans le discours du président Bouteflika que dans l'allocution du souverain Mohammed VI prononcés à l'ouverture des travaux du sommet d'Alger. Et pour beaucoup, le fait que le roi du Maroc n'a pas explicitement parlé de « l'intégrité territoriale du royaume » constitue déjà une évolution significative.