Ce fringant « papy » cache derrière sa gouaille une sensibilité exceptionnelle qui transparait dans ses peintures. A 64 ans, ce fils du Clos Salembier, aujourd'hui El Madania, quartier des hauteurs d'Alger, est entré à l'école à 11 ans. Souvenir d'une enfance difficile , comme la chantait Hadj M'hamed El Anka. Un père obligé de travailler de l'aube jusqu' au soir, absence ressentie sans doute par l'enfant et perceptible aujourd'hui dans ses œuvres par l'omniprésence de la femme et de la maternité et ces tons sombres et les ocres qui traduisent, peut-être, cette quête de l'absent.Autodidacte, Moussa vient à la peinture par le dessin, un peu pour imiter un grand frère, qu'il retrouvera, plus tard, une fois sa vocation confirmée en la personne de l'autre M'hamed, Issiakhem dont il n'a jamais été l'élève, contrairement à ce que beaucoup pensent. Après les cours de calcul ou de grammaire à l'école élémentaire de Diar El Mahçoul, il aimait reproduire les portraits de Gary Cooper et autres John Wayne qui fleurissaient la une en noir et blanc de Cinémonde, la revue de cinéma très populaire de l'époque. La période de la guerre de libération nationale marque l'adolescence de Moussa, les faits d'armes de ses aînés ne le laissent pas indifférent, notamment ceux de Rabah Zerrari, connu dans le quartier et qui allait devenir le commandant Azzedine et chef du légendaire commando Ali Khodja.Moussa nous montre fièrement le portrait du « commandant maquisard », réalisé à partir d'une photo en noir et blanc prise après son arrestation, reprise d'ailleurs par toute la presse coloniale. Mais Moussa n'a pas attendu l'indépendance ou la réalisation du musée national de l'armée pour immortaliser les héros et les faits d'armes de la guerre de libération nationale. Peu de temps après le cessez-le-feu, il dessinera une fresque dédiée au « djoundi héroïque » que tout Clos Salembier a pu admirer. Un quartier qui a payé, faut-il le rappeler, un lourd tribut à la lutte armée, avec le sacrifice de plusieurs de ses enfants tels Didouche Mourad ou Fernand Yveton, guillotiné pour l'exemple. Entre-temps, Moussa est contraint de gagner sa vie en faisant mille et un métiers. « Cela n'a pas été facile, j'ai trimé dur », se rappelle-t-il.Tour à tour apprenti boucher, ou staffeur-décorateur en plâtre, il sera remarqué par un certain Granados, au début des années 1960, qui lui suggère de s'inscrire à la société des beaux-Arts d'Alger. Il suit des cours de peinture comme auditeur libre et se perfectionne à l'aquarelle, sous la direction de Camille Leroy. Il côtoie Chegrane, Oulhaci, Benkahla… A l'indépendance, tout en exerçant comme projectionniste de cinéma, notamment au Capri à Alger, une salle « sombre » qui deviendra un amphithéâtre de la faculté dans les années 1970 et au cinéma Debussy, il continue de peindre et fréquente toujours l'atelier de la société des Beaux-Arts alors situé p^rès de la place Emir Abdelkader. Plus tard, il rejoint le musée des Beaux-Arts d'Alger en tant que restaurateur. Il participe à une première exposition collective en janvier 1973, à la galerie Racim et fera partie régulièrement des Biennales maghrébines jusqu'à leur disparition. Il est plus tard, animateur culturel à la Sonatrach et initie, dans la ferveur révolutionnaire de l'époque les enfants des travailleurs à la peinture et au dessin. Il garde de cette période de sa vie, d'impérissables souvenirs. Pour la venue du président nord-coréen, Kim Il Sung, à Alger dans les années 1970, il participe à une fresque collective où il côtoie M'hamed Issakhiem. Commence alors une période de collaboration avec l'ami de Kateb Yacine, qui le conduira à travailler sur des œuvres collectives pour les Jeux africains ou des institutions. Quelques années avant sa disparition, Issiakhem notera quelque part sur un livre d'or : « Je crois enfin en Bourdine et Mokrani. » Quelques mots, qui, pour Moussa, seront une consécration méritée de la part du grand maître. Il fera alors partie du groupe T35 aux côtés de Khedda, Temmam, Martinez et bien d'autres. Ses œuvres sillonneront l'Algérie et d'autres pays. En 1985, il décide de vivre exclusivement de son art. Il monte alors plusieurs expositions à l'étranger (France, Allemagne Japon). Aujourd'hui installé à Zéralda où il a son atelier travaillant sur les couleurs, avec cette touche qui lui est propre. Il enchaîne exposition sur exposition au rythme pratiquement d'une par an. Le triptyque femme, maternité et espace clos est omniprésent… De sa retraite côtière, il puise son inspiration dans le quotidien des petites gens. C'est là qu'il reçoit ses visiteurs, quand il n'est pas quelque part, au fond d'une crique à taquiner le sar ou le mérou jusqu'au petit matin. Il faut écouter ce mordu de la pêche à la ligne parler avec passion des mille et une manières d'accommoder le pagre au thym et des marinades au laurier et au cumin. Car Moussa est aussi cordon bleu. Il expose ses œuvres récentes à compter d'aujourd'hui jusqu'au 15 juin à Zéralda. Exposition de Moussa Bourdine du 29 mai au 15 juin. Atelier Bourdine. Village des artistes, villa n° 28, Zéralda. Vernissage le 29 mai à 15h.