Célébrant le théâtre de l'absurde, El Marilla, de Masrah Tedj de Bordj Bou Arréridj, a été présentée samedi soir à la faveur du 5e Festival national du théâtre professionnel qui s'achève le 7 juin au TNA. 1,2, 3, on saute, on joue à la marelle ! Ce jeu du Moyen-âge, que les Argentins appellent rayuela, n'a jamais perdu de son attrait. Samedi soir, sur la scène du Théâtre national Mahieddine Bachetarzi, El Marilla, dérivé arabe de la marelle, pièce de la troupe Tedj de Bord Bou Arréridj, a été un prétexte pour célébrer le théâtre de l'absurde. Tout se passe dans la cour d'un palais en décadence. Le rouge et le noir sont partout, à l'image de l'œuvre de Stendhal. Le combat entre les lumières et l'obscurantisme est souligné à travers la scénographie de Hamza Djaballah. Une scénographie qui a fortement appuyé le jeu des comédiens. Le déplacement du tapis au cours de la pièce suivait la forme de la marelle. Un roi ridicule passe son temps à jouer à la marelle et à chercher à boire du lait. Il ne prend place sur son trône que s'il n'y a personne aux alentours. Son vizir est là pour tout orchestrer et malmène, pour l'occasion, un valet simple d'esprit. C'est que le vizir s'offre les charmes du fils du roi. Le tout est suggéré par une banane mangée derrière les rideaux. L'autre fils est volage et n'accepte pas les ordres du père qui l'opprime. Les deux fils s'affrontent et on pense qu'il y a de l'inceste entre eux. Le domestique est là à tourner, il ne sait plus s'il doit donner du lait ou de l'eau. Entre deux services, il profite pour aller se soulager en public ! Le roi prépare un discours pour « le chaâb boubi » (le peuple en traduction libre !) et c'est le conflit ouvert au palais. Le plus important n'est pas le contenu du discours, mais celui qui « fait » le discours. La forme prime sur le fond. C'est le trait dominant dans les régimes fermés. « Les écoles n'ont plus de craie colorée », dit le vizir. « Ah ! bon », lance le roi. Et bien sûr, puisque la caricature est grasse et visqueuse, le roi et son fils seront emportés par un complot. El Marilla, écrite par Omar Cherouk, s'inspire largement de la démarche artistique de l'Espagnol Fernando Arrabal. Le théâtre d'Arrabal est provocateur, violent, burlesque et léger. Il pousse les lignes plus loin que la folie amusante d'Alfred Jarry, l'auteur du Roi Ubu. Dans la pièce mise en scène par Rabie Guichi, qui a joué le rôle du domestique naïf, il y a de tout : un peu de vulgarité, un peu d'humour, des lourdeurs, des passages à vide et des jets de lumière. Le personnage gay, de plus en plus présent dans la nouvelle scène théâtrale algérienne, n'échappe pas au stéréotype. Il est supposé représenter « la prostitution intellectuelle ». Quelque part, à trop vouloir montrer que le roi ne règne pas et que le peuple fait semblant d'exister, les traits ont été forcés, laissant peu de place à l'imagination. On est presque devant du déjà-vu. « Dans le théâtre, il n'y a rien de nouveau. On peut faire la différence par les côtés esthétique et philosophique. Dans El Marilla, les personnages n'ont pas de noms. Et c'est mieux comme ça. J'ai laissé la liberté au spectateur de leur donner des noms et de les lier au vécu, à la réalité. Nous traitons le sujet dans sa profondeur humaine », nous a expliqué Rabie Guichi. Les comédiens ont su répercuter l'esprit de la pièce. Certains, comme Ali Bejou, qui a joué le rôle du roi, se sont même confondus avec leur rôle, signe d'une maîtrise du jeu et de la scène. Halim Zeddam, Mohamed Benjedou, Sittouf Khelif et Nacir Belkerfa n'ont pas démérité eux aussi. Ils ont joué avec sincérité face au public nombreux du TNA. Et ils ont été fortement applaudis à la fin de la pièce.