La décision d'aller, vaille que vaille – c'est-à-dire à contre-courant des revendications politiques des Algériens – vers une élection présidentielle le 12 décembre prochain, nourrit les plus vives inquiétudes. Ce que le pouvoir jusqu'auboutiste estime être une sortie de crise sûre et rendue nécessaire contre «les dangers des aventuriers de tout bord» pose en fait davantage de problèmes que ces élections ne sont en passe de régler. Offerte comme une dynamique de «départ d'un processus de renouveau de notre nation», tel que déclaré hier par l'exécuteur de ces basses besognes, Abdelkader Bensalah, l'ensemble des Algériens qui ont fait connaître leur volonté et aspirent à une transition démocratique pacifique semblent subir les affres d'un mauvais feuilleton. Depuis plus de trente semaines, la majorité des Algériennes et des Algériens de tous âges battent massivement le pavé pour rejeter bruyamment et par la détermination de leurs slogans ce mode de gouvernance autoritaire et autocrate qu'on appelle le «système». De l'autre côté, le pouvoir en place, militaire en particulier, maintient sa feuille de route sous la férule d'une instillation d'arguments plutôt légers mais imposés de fait par ceux-là mêmes qui veulent la continuité du système. Que dire sinon que cette façon d'imposer une démarche, appuyée par un scénario de façade, renforce l'idée que le pouvoir maintient le cap, quitte à s'engager dans de viles méthodes d'intimidation et de coercition pour mener à terme son projet ? Une situation qui laisse perplexes plus d'un et interroge l'avenir immédiat. Pour les trois mois à venir (et même au-delà de la présidentielle), quelle destinée attend le mouvement de revendication populaire ? Le hirak a-t-il atteint ses limites ? Quelle forme prendra le durcissement des méthodes jusque-là quasi attentistes du pouvoir ? Les observateurs qui pressentent d'ores et déjà le climat délétère qui s'installe s'attendent à une confrontation entre le mouvement de revendication populaire jusque-là pacifique et la puissance publique détentrice de la «violence légale». Face à une machine lourde qui a à disposition tous les moyens répressifs de l'Etat, mais également le pouvoir judiciaire, devinons que la stratégie a été savamment préparée : d'abord faire peur, puis dissuader les plus entreprenants d'entre les manifestants (pressions de toutes sortes, arrestations, emprisonnements longs ou momentanés, etc.) afin de réduire, puis de circonscrire le hirak. Interviendront alors des mesures réglementaires pour interdire les marches et imposer aux contrevenants diverses sanctions dissuasives. En même temps, le pouvoir utilisera d'autres stratagèmes pour accompagner ces mesures répressives. Force est de reconnaître qu'il règne en maître aujourd'hui sur la quasi-totalité de l'espace audiovisuel et qu'il utilisera cette arme redoutable, notamment ses «télés poubelles» pour diaboliser le mouvement de revendication populaire et affubler ses membres, comme ils le font souvent, de l'étiquette d'«antipatriotes», voire de «traîtres manipulés par des forces étrangères»… Mais la pression médiatique sera plus forte pendant la campagne électorale, lorsqu'il s'agira de faire la promotion «du renouveau et de la stabilité» et vendre à ceux d'entre les Algériens qu'ils peuvent désorienter les vertus d'une «paix sociale retrouvée» à la faveur de cette présidentielle. Les partis politiques précédemment décriés ( FLN, RND, certaines associations islamistes entre autres) occuperont le haut de l'actualité et feront en sorte de donner la fausse impression qu'ils sont populaires et représentatifs. Bref, la vraie réalité sociopolitique de ce pays sera, dans les quelques semaines à venir, réduite, tronquée, escamotée, falsifiée, maquillée, dans un scénario en trompe-l'œil, où tout, absolument tout, sera tenté pour consacrer le fait du prince. Un cauchemar nous attend…