Les premières candidatures partisanes à la candidature à l'élection présidentielle fixée pour le 12 décembre 2019 et rejetée par le hirak commencent à se dévoiler. Deux candidats, qui ne sont pas à leurs premières tentatives en la matière, ont retiré les formulaires de candidature quelques heures à peine après le lancement de l'opération de collecte des signatures. Il s'agit de Ali Benflis du parti Talaie El Hourriyet et de Abdelaziz Belaïd du front El Moustakbal. Si pour ce dernier, la participation au scrutin présidentiel n'est pas une surprise – il a été partant dans toutes les consultations électorales qui se sont succédé, y compris au 5e mandat avorté de Bouteflika, où il fut un des rares postulants se réclamant de l'opposition à avoir consenti à se porter candidat –, ce n'est pas le cas de Ali Benflis, candidat malheureux à l'élection de 2014 face à Bouteflika, où il avait été étrillé avec un score électoral marginal d'un peu plus de 4%. Le «livre blanc sur la fraude» qu'il avait édité à cette occasion, en diagnostiquant le mal séculaire de la fraude électorale, interpellant le pouvoir et prenant à témoin l'opinion nationale sur des cas de fraude documentés au profit de Bouteflika, lui avait permis, d'une certaine manière, de rebondir politiquement en justifiant, à bon droit, ses contre-performances électorales par la fraude. Aussi, son refus de prendre part au scrutin annulé du 14 avril s'inscrivait-t-il dans le cours naturel du parcours politique de l'homme qui n'a eu de cesse, depuis la maladie de Bouteflika, de plaider pour ancrer dans les mœurs politiques le principe de l'alternance au pouvoir, en bannissant la gouvernance de la présidence à vie imposée par Bouteflika. Qu'est-ce qui a changé dans les fondements du système politique algérien depuis le départ forcé de Bouteflika pour que Benflis – qui avait apporté son soutien au mouvement de contestation, même s'il n'avait pris part qu'à une seule marche, refroidi par l'accueil peu enthousiaste réservé par les manifestants aux leaders de certaines formations politiques – se précipite à ouvrir le bal des candidatures ? En vérité, sa candidature était déjà dans l'air il y a plusieurs jours, et il s'est évertué à préparer l'opinion à cette décision, multipliant les déclarations bienveillantes à l'adresse de l'instance de «médiation et de dialogue» de Karim Younès qui ont culminé avec le blanc-seing accordé à cette commission à l'issue de l'adoption de ses rapports sur la révision de la loi électorale et sur la «commission indépendante d'organisation, de suivi et de contrôle» des élections avalisés par le Parlement dans ses deux Chambres. «Les conditions sont aujourd'hui réunies pour la tenue de l'élection présidentielle», s'est empressé de souligner Benflis, qui s'est dit convaincu que «les garanties d'un scrutin régulier et transparent sont désormais offertes». Par ailleurs, les revendications portées par son parti et dont le hirak a fait les leviers de son combat émancipateur pour une Algérie nouvelle – à savoir, entre autres, les exigences de la libération des champs politique et médiatique, l'indépendance de la justice, sans lesquelles toute promesse d'organisation de scrutin libre et indépendant serait vaine – sont évacuées de ses éléments de langage politique depuis quelque temps. De la même façon, il est reproché à Talaie El Hourriyet de faire l'impasse sur les dernières vagues d'arrestations de manifestants et de figures emblématiques du hirak. La Toile n'a pas tardé à s'enflammer, dès l'annonce de la candidature de Benflis, s'interrogeant s'il ne s'agit pas là d'une candidature du pouvoir réel. Choix stratégique réfléchi, maladresse politique ou calcul de pouvoir ? Benflis ne peut pas faire l'économie d'un travail pédagogique profond pour expliquer la portée de son engagement dans ce scrutin controversé, au risque de se mettre à dos le hirak, y compris les sympathisants de son parti qui se reconnaissent dans les revendications de ce mouvement populaire, et d'hypothèquer son avenir politique.