Deux films aux contextes différents, voire philosophiquement contradictoires, ont été projetés, avant-hier, durant la deuxième soirée de la 17e édition des Journées cinématographiques de Béjaïa. Touiza, la fiction de 30 minutes de Karim Bengana, nous replonge dans la décennie noire avec ses questionnements, ses doutes et ses horreurs, alors que Babylone Constantina, le long documentaire de Sid Ahmed Semiane (SAS), nous emmène dans l'Algérie de la musique, en s'introduisant essentiellement dans les coulisses du Festival Dimajazz. Karim Bengana voit son film comme étant celui «des non-dits et des silences», suggérant que la décennie sanglante n'a pas dit tous ses secrets. Yasmine, qui cultive des secrets et s'enveloppe de silence, est le personnage principal de cette fiction. Pourtant le film ne prend pas son titre de son prénom et c'est là toute la symbolique du film. Touiza est le nom d'un chien. L'humain passe au second degré pour dire sa déconsidération dans une logique de bêtise humaine. Le titre est métonymique parce que renvoyant à un personnage secondaire dans l'histoire qui est centrée sur Yasmine, ses angoisses et ses engagements insensés. C'est Yasmine (Amira Hilda Douaouda) qui symbolise les dégâts incommensurables des dérives idéologiques. Le film met de prime abord son public dans le décor d'un Alger militarisé, où Yasmine tient le rôle d'une servante au service d'une bourgeoise (Farida Rahouadj) qui vit avec ses peurs dans sa maison. La patronne n'est pas nommée. C'est tout juste si sa domestique l'appelle «Madame». Il émane d'elle la contradiction frappante de deux sentiments ambivalents : elle adore son chien qu'elle bichonne, et méprise sa bonne qu'elle veut pourtant garder, mais par peur de la solitude. L'amour d'un chien et la haine de l'humain forment la seconde image du mépris de l'homme amorcé par le titre. Le drame humain prendra son ampleur dans les projets cachés et mortels de Yasmine qui met sa main dans la pâte sanglante des intégristes. Karim Bengana dit avoir «essayé de savoir qu'est-ce qui peut se passer dans la tête de quelqu'un qui vit le dernier jour de sa vie». Babylone Constantina a, quant à lui, donné sens à la vie, même s'il ne s'empêche pas de faire faible écho, en arrière plan, à une actualité d'attentats terroristes. Le documentaire aurait pu être une longue couverture, de sept quarts d'heure, du festival DimaJazz de Constantine s'il n'est pas allé butiner chez un vieux conservateur d'enregistrements d'émissions radiophoniques de Constantine et écouter de jeunes amateurs de freestyle qui rêvent et qui étouffent. En filmant le festival dans ses moindres recoins tout en explorant des à-côtés non moins vivants, le réalisateur a dessiné un contraste et installé subtilement des parallèles entre le traditionnel et le moderne. Jazz, blues et Reggae résonnent dans une ville de Malouf et de Aïssaoua. Raymond Raoul Leyris et Fergani dialoguent avec les Fabriscio Cassol, Boney Fields, Karim Ziad, Aka Moon, Alpha Blondy et bien d'autres noms de la musique mondiale. Une musique sans frontières. Le titre est bluffeur. Il n'y a surtout aucun lien à chercher avec l'antique ville Babylone. «Au Jamaïca on appelle Babylone le système policier répressif», explique SAS qui n'a pas caché son «malaise» à être présent aux RCB «au même moment que d'autres gens sont en prison parce qu'ils ont eu une parole politique ou pour un drapeau». «C'est inadmissible», dénonce-t-il, avant d'estimer que le cinéma doit continuer. N'est-ce pas que les luttes peuvent bien faire mal à partir des écrans !