La troisième soirée de projection des 17es Journées cinématographiques de Béjaïa a été, le moins que l'on puisse dire, flamboyante. Le grand écran a dégagé du feu qu'il a mis dans le regard du public et l'a fait frémir. Nar (feu), documentaire de Meriem Achour Bouakkaz, était en projection, un film qui vous ouvre grands les yeux sur un phénomène qui a risqué de se banaliser : l'immolation par le feu. Le phénomène a flambé depuis l'acte du jeune Bouazizi, qui a déclenché la révolution du jasmin en Tunisie en 2011. «Un drame silencieux», comme le qualifie la réalisatrice. Mais les flammes de Nar sont jaillissantes à la fois de désespoir et d'espoir. 29 avril 2012, village Moussa, un quartier de Jijel, Hamza, 25 ans, un vendeur de cigarettes et de cosmétiques, s'est immolé par le feu devant le commissariat de police, qui lui avait intimé, quelques heures plus tôt, l'ordre de faire disparaître sa «tabla», son «comptoir» de fortune. Il n'a pas hésité à se tuer de la façon la plus insoutenable. Son acte tragique a provoqué de violentes émeutes dans la ville. Expression violente d'un extrême désespoir qui a poussé de nombreux Algériens à s'immoler par le feu. «Pour que leur mort ne soit pas vaine», Meriem Achour Bouakkaz a donné la parole à des jeunes dont ceux qui ont survécu au feu de l'immolation. «J'ai passé deux heures à cogiter avant de passer à l'acte. Le moment arrivé, je n'ai pas hésité un instant à m'asperger d'essence. Des jeunes se sont jetés sur moi pour éteindre les flammes. Heureusement qu'ils étaient là», témoigne un rescapé, qui était au bout du rouleau. Sur ses mains, le feu a laissé des séquelles. Le souvenir reste pénible pour toutes ces victimes, comme ce père de famille qui dit avoir «réalisé que beaucoup de gens comme Hamza puissent arriver à un point de non-retour». La caméra de la réalisatrice a mis des images et des voix sur des maux et tenté de traduire l'état d'esprit d'un incompris. «Je me suis détesté. Une grande boule m'étouffait et j'ai explosé», se confie le même miraculé. Les mots de La Casa Del Mouradia (des fois à l'aurore, je suis encore éveillé…), chantés par Ouled El Bahdja, appuient sur les traits de la misère d'une jeunesse perdue. Tayeb, mécanicien impermanent et veilleur de nuit, est «dégoûté». Il vit encore avec la douleur inextinguible de la perte de son frère qui s'est tué par immolation, il y a trois ans. «La police lui a interdit de vendre ses olives dans la rue. Ils les lui ont jetées par terre. Il ne lui restait que l'option de l'essence. Mon frère est mort humilié», témoigne Tayeb, en pleurs. Lakhdar est agent de sécurité dans une banque. Il est le père d'une petite fille handicapée. «J'ai été impuissant à l'aider, à quoi bon vivre ?!», s'interroge-t-il. Lakhdar a cédé à son sentiment d'abandon et a vidé une bouteille d'essence sur lui et sur sa fille. Sur son chemin vers le lieu du forfait, il était dans une bulle qui allait le conduire dans un autre monde. «Je ne voyais personne», confie-t-il. Tous ces suicides ont laissé derrière eux une profonde peine qu'il est difficile d'effacer de sitôt chez des parents inconsolables des années après le drame. Réda est une autre victime qui n'a pas survécu au feu. Lorsqu'il s'est immolé, il courait dans la rue, les flammes consumant son corps. Il a succombé à ses blessures. «Seul son visage a été épargné. J'entends encore ses cris», se rappelle péniblement sa mère, une retraitée de la santé. «Il me disait »pardonne moi ». Il avait pourtant de l'espoir», dit-elle, la gorge nouée. L'espoir ne tenait qu'à d'hypothétiques sorties de crise par le montage d'un incertain projet. «Si tu as les poches vides, on ne te donne rien», regrette l'un des rescapés. «Pour tout, il faut être pistonné. Les pots-de-vin sont devenus une culture», dénonce Tayeb qui, à 34 ans, pense à devoir quitter le pays. Le documentaire, qui emprunte des vidéos aux réseaux sociaux, montre la traversée de harraga parmi lesquels ont pris place une femme et son bébé. Tragique embarcation vers l'incertain. Tayeb ne la prend pas. Mais pour maîtriser son envie de fuir le tumulte du présent et du passé et de se libérer un tant soit peu de son angoisse, il se réfugie dans la montagne. Depuis la mort tragique de son frère, il s'y isole pour tenter d'apaiser son cœur. «Je crie et je me parle», confie-t-il, le moral saturé. Les témoignages et les portraits poignants de Nar sont les expressions multiples de la rupture d'un silence lourd et douloureux, une rupture qui est nécessaire. Le film est une invitation à écouter des âmes qui brûlent et qui ont pourtant la soif de vivre. «Malgré la saturation, il reste un grain de volonté : c'est de vivre», dit un jeune miraculé de l'immolation. Pour finir avec une note d'espoir, Nar emprunte à Mustapha Benfodil cette situation imagée : «Puisse l'Algérie renaître des cendres de ses enfants.»