Polarisation extrême. Impasse politique, incompressible insurrection citoyenne et tentative de passage en force. Après sept mois de mobilisation populaire permanente, l'Algérie entre dans une phase histrionique aussi imprévisible qu'incertaine. Elle se trouve à un point de basculement. Un faux pas peut s'avérer périlleux. Mais d'ores et déjà, la communion nationale née du mémorable vendredi 22 février court le risque d'une fissuration et le rêve algérien ressuscité par «le peuple du vendredi» peut se transformer en cauchemar autoritaire. Les multiples avancées politiques réalisées durant ces mois qui ont ébranlé le régime de Bouteflika sont obscurcies par un dangereux recul des libertés démocratiques. La confrontation se durcit entre les partisans d'une transition négociée et les adeptes de la solution par l'élection présidentielle. Les Algériens redoutent un épilogue peu glorieux de ce nouveau chapitre de la nouvelle histoire algérienne exaltante. De nouveau l'horizon s'assombrit. Cependant, le mouvement populaire ne lâche rien. Il ne veut rien céder sur l'essentiel. La rue, qui reste massivement mobilisée, rejette vigoureusement le scrutin présidentiel dans les conditions actuelles. Partis à la conquête de leur souveraineté, les citoyens – se posant en arbitre – redoutent le scénario de «recyclage» du système à travers une élection imposée dans un contexte politique pour le moins contraignant. Mais déterminés à faire triompher les «thèses de Février». Leur radicalité politique est à la mesure de l'espérance portée par le printemps algérien. En face, l'obstination du pouvoir n'est pas de nature à favoriser un arrangement. Que d'occasions ratées et de temps politique gaspillé. Et ce n'est pas faute d'offres sérieuses ou d'acteurs disposés à rechercher une solution durable et acceptée par tous. Force est de constater qu'au bout de sept longs mois de soulèvement joyeux qui a émerveillé le monde entier, l'impasse s'est renforcée. Les chances de parvenir à un «accord historique» sont faibles. Les capacités de forger un compromis entre les protagonistes s'amenuisent sous les coups de boutoir des détenteurs du pouvoir, alors que tout l'exige. C'est une nécessité impérieuse. Mais, point d'apaisement. Les discours du chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, sont de nature à antagoniser. C'est déjà le cas. Il est aussi clivant que menaçant. La réponse du «peuple du vendredi» est tout aussi puissante. Le face-à-face déborde le cadre politique naturel entre visions, idées et démarche à suivre. Erigés au rang des «ennemis de la patrie», les adversaires de l'option présidentielle sont voués aux gémonies. Les poursuites judiciaires, les arrestations à tout-va et l'emprisonnement des acteurs politiques et des militants de la société civile, des citoyens sans affiliation font craindre le pire. «Le pays glisse progressivement vers un Etat de non-droit», alerte le défenseur des droits de l'homme, l'avocat Mustapha Bouchachi, pendant que le contexte recommande plutôt de la sérénité. Mais surtout de la lucidité pour éviter de réinstaller l'Algérie sur un brasier. Rien ne peut expliquer cette nervosité qui gagne le sérail, encore moins justifier l'escalade. Les moyens contaminent la finalité Si, en effet, l'élection présidentielle peut être défendable pour sortir de l'impasse, la manière avec laquelle le pouvoir s'y prend conduit droit dans le mur. La fin ne peut pas justifier tous les moyens. Si ces derniers sont pervertis, ils peuvent contaminer le but recherché, aussi légitime soit-il. La méthode forte jusque-là employée ne peut séduire. Bien au contraire. Elle réintroduit le doute, recrée un climat de méfiance et rajoute la peur à l'inquiétude. D'évidence, le procédé tel qu'il est engagé commence à avoir un effet repoussoir et se manifeste à travers l'élargissement du front de refus de la présidentielle. La majorité de la classe politique rejette le scrutin du 12 décembre prochain. Les boycotts s'annoncent et s'enchaînent et décrédibilisent a priori un processus électoral est frappé d'irrégularité. Mal engagée, la présidentielle de «fin» d'année n'attire pas. Le pouvoir aurait pu faire l'économie de cette «guerre psychologique» et se passer de cette répression inutile pour convaincre de la nécessité de revenir à la légalité institutionnelle – un souci certes majeur – via l'élection d'un président de la République. Une telle entreprise recommande de la pédagogie politique en débattant librement des jeux et enjeux nationaux et internationaux. Les Algériens ont montré avec prouesse leur aptitude à formuler des projets et à débattre avec un sens élevé de responsabilité. Leur capacité de discernement n'est plus à prouver. Parce qu'ils sont capables des miracles et celui du 22 Février en est un. Qui pouvait débarrasser le pays du funeste projet du 5e mandat de Bouteflika ! Plutôt leur faire confiance que de leur jeter à la figure la suspicion et les couvrir d'opprobre. L'élection présidentielle aura tout son sens pour peu qu'elle soit couplée à des mesures de transition fortes. Si elles sont antagoniques sur la forme, les deux dynamiques peuvent converger sur le fond, d'où l'obligation de sortir des enfermements dogmatiques. Les lignes peuvent sensiblement bouger en envoyant des signaux forts. Tout est question de volonté et de conviction. Le temps presse. Il est vrai que pour des raisons évidentes, le pays ne peut tenir longtemps sans direction politique légale. Mais le retour pressant à la légalité constitutionnelle peut seulement pallier des impératifs immédiats et retardera la résolution définitive de la crise du système politique. La normalisation autoritaire est une solution de courte durée et de courte vue. «Le choix n'est pas et ne doit pas être entre le système ou le chaos, mais entre le système et une Algérie meilleure», a rappelé Mouloud Hamrouche dans sa dernière tribune. Une chance historique à ne pas rater. L'échec est interdit.