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«La libération des détenus est une première victoire»
Me Amor Alla. Membre du collectif de défense des détenus du hirak à Constantine
Publié dans El Watan le 03 - 10 - 2019

– Les trois détenus du hirak à Constantine ont bénéficié de la liberté provisoire. Quelle est votre appréciation de cette décision ?
En effet, il y a eu lundi un arrêt de la chambre d'accusation de la cour de Constantine qui a libéré, de manière provisoire, Mohamed Bekouche, Tahar Bouteche et Hacene Ramdani, arrêtés lors de la manifestation du 15 septembre.
Nous considérons que nous avons obtenu une première victoire ; nous avons gagné une bataille dans une «guerre», dans le sens où leur libération, de notre point de vue, prouve que le dossier est vide par rapport à ce qu'on leur reproche et les articles pour lesquels ils sont poursuivis, 79 et 96 du code pénal, dont la portée et les conséquences sont très graves.
Vous devez savoir que l'article 96 stipule que «quiconque distribue, met en vente, expose au regard du public ou détient en vue de la distribution, de la vente ou de l'exposition, dans un but de propagande, des tracts, bulletins et papillons de nature à nuire à l'intérêt national, est puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 3600 DA à 36 000 DA.
Lorsque les tracts, bulletins et papillons sont d'origine ou d'inspiration étrangère, l'emprisonnement peut être porté à cinq ans». Notre plaidoirie a porté justement sur la signification de la notion d'intérêt national.
Qu' entend-on aujourd'hui par intérêt national, sachant que ce qui était considéré comme tel du temps de Bouteflika ne l'est peut-être plus aujourd'hui ?
Le mouvement du 22 Février a remis en question l'interprétation que faisait le pouvoir de cette notion. J'ai dit au magistrat : «Je ne veux pas être à votre place, parce que vous êtes sollicité pour mettre le sceau de la justice sur une accusation purement politique.»
Ce sont des magistrats jeunes qui ont pris leur responsabilité après notre plaidoirie et qui ont considéré qu'il n'y a pas lieu de garder les détenus en prison. Ils ont fait preuve de courage, et je sais ce que je dis. La victoire est là. Le fait d'avoir libéré les trois détenus est tout à l'honneur de la justice.
– Ici, doit-on parler de courage ou d'application juste des lois ?
Le fait d'appliquer fidèlement la loi est une forme de courage par moments, et notre approche en tant que collectif de défense était de titiller ce courage-là qui a été exprimé de manière formidable par un nombre de magistrats au début du hirak.
D'ailleurs, on leur a rappelé qu'ils ont manifesté avec le peuple pour défendre et exiger l'indépendance de la justice, et maintenant on leur a dit : passons à la pratique, puisque nous en avons l'occasion avec ces trois citoyens qui n'ont rien fait de mal, qui n'ont fait que manifester, et de manière pacifique, leur opinion politique, partagée d'ailleurs par une large couche de la société.
– Pourquoi seuls ces trois citoyens sont-ils jugés, alors qu'il y avait au moins une centaine de manifestants ce jour-là ?
Justement, c'était l'un des arguments qu'on a fait valoir, pourquoi deux poids deux mesures ? Pourquoi ces trois et pas les autres ? En outre, les slogans qu'ils chantaient ou qu'ils brandissaient sont les mêmes que ceux du hirak.
Mais avant tout, nous avons posé la question de principe : ont-ils le droit ou non de manifester pacifiquement et exprimer leur opinion comme le veut l'Algérie post-Bouteflika ? Pourquoi la même manifestation est-elle autorisée les vendredi et mardi et pas un autre jour de la semaine ?
– Ils risquent aussi d'être jugés selon l'article 79…
Oui, cet article stipule que «quiconque, hors les cas prévus aux articles 77 et 78, a entrepris, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l'intégrité du territoire national, est puni d'un emprisonnement d'une durée d'un à dix ans et d'une amende de 3000 DA à 70 000 DA. Il peut en outre être privé des droits visés à l'article 14 du présent code».
Et là, c'est encore plus grave. Quelle menace peut-il y avoir sur l'intégrité du territoire de la part de ces jeunes et dans ces conditions ? On attend que des magistrats qui doivent mener cette affaire qu'ils nous expliquent le lien entre ces faits et les articles qu'on veut leur appliquer.
– Leur libération est conditionnée…
Oui, ils ont été convoqués mardi par le juge d'instruction pour leur signifier la portée de cet arrêt, à savoir qu'ils sont sous contrôle judiciaire et qu'ils sont interdits de manifester, de se regrouper et de s'exprimer jusqu'à nouvel ordre.
Je considère que même cette interdiction, qui intervient après l'arrêt de libération, vient sous forme complémentaire, parce que si on a jugé que leur maintien en détention n'est pas nécessaire, pourquoi alors leur interdire de s'exprimer ou de manifester, ce qui dans le cas de ces trois citoyens est une sanction punitive par rapport à une position politique.
– Comment s'est constitué le collectif de défense ?
De la manière la plus spontanée. On a eu écho de l'arrestation et la présentation des trois citoyens devant le procureur de la République suite aux manifestations du 15 septembre, alors on s'est dépêchés, moi-même et quatre autres confrères, au tribunal pour les assister, ce que nous avons fait et que nous continuerons à faire jusqu'à la fin de cette affaire, quel que soit le temps que cela prendra.
– Est-ce que vous êtes en contact avec les collectifs d'avocats qui défendent les détenus du hirak dans les autres wilayas ?
Bien sûr. Nous sommes en contact avec nos confrères, notamment ceux d'Alger qui se constituent dans ce type d'affaire, pour coordonner nos efforts et nos stratégies de défense.
Je travaille aussi actuellement avec des confrères de Béjaïa sur une affaire de port de drapeau amazigh traitée par le tribunal de Constantine et impliquant des jeunes de la commune de Toudja. Une affaire qui, je dois dire, n'avantage pas la justice qui en plus croule sous des montagnes de dossiers. Mais encore une fois, je fais confiance aux jeunes magistrats.


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