Le conseil national du RCD vient d'ouvrir le débat sur la situation politique du pays. Quelle lecture faites-vous de cette situation ? C'est un blocage chronique qui est en train de se précipiter. Les signes d'alarme sont nombreux : les scandales, les restrictions des libertés de plus en plus grandes, les agressions, y compris dans le cadre institutionnel, qui étouffent chaque jour un peu plus la société et surtout l'absence de perspectives aussi bien sur la scène interne que sur la scène diplomatique... L'Algérie n'est plus audible et ni plus visible. Evidemment, nos partenaires sont fatigués d'avoir un partenaire avec lequel il n'y a aucune possibilité de concevoir et d'entreprendre une coopération dans la durée. Cela occasionne un coût économique assez désastreux pour la nation. Il y a un problème de discrédit de l'Etat algérien. Et tout cela fait que la crise politique et le marasme économique nous ont amenés dans une spirale où il n'est plus possible de spéculer sur une éventuelle responsabilité des dirigeants pour arrêter l'avalanche pendant qu'il est encore temps. Alors, chacun doit prendre ses responsabilités. L'opposition doit assumer son rôle, quelles que soient les difficultés qui sont réelles et qui existent. Ce n'est pas facile d'avoir des maires comme celui de Berriane qui a été destitué par le ministère de l'Intérieur en parfaite illégalité ; ce n'est pas facile d'avoir des maires qui sont par ailleurs coupables de malversations, mais qui sont maintenus en poste ; ce n'est pas facile de voir des efforts d'élus qui ont réussi à mobiliser des financements de huit millions de dollars qui sont bloqués sans que l'on daigne répondre à une institution comme une APW. Je connais toutes les raisons qui peuvent pousser au désespoir et à l'exaspération. Je voudrais interpeller mes concitoyens sur précisément deux choses qu'il faut éviter. Tomber dans les provocations vulgaires, comme celles qui sont en train de se passer en Kabylie depuis ces quatre dernières années, est le meilleur moyen, de mon point de vue, que cherche le pouvoir. Ce dernier veut aboutir au repli sur soi, à l'exaspération et à la déconnexion des revendications de la matrice démocratique nationale. Aller dans cette filière, revient à servir d'appât à la stratégie d'étouffement de la Kabylie et donc aussi de construction solidaire et démocratique de la nation. Il ne faut pas, donc, céder à l'exaspération et au désespoir. Parce qu'il y a quand même des lueurs d'espoir. Combien de fois n'ai-je pas lu que les gens ne s'intéressent plus à la politique, qu'ils ne veulent rien suivre et qu'ils n'écoutent plus personne, etc. Je viens de sortir un livre qui parlait de la vie politique passée et présente. C'est quand même un événement dans l'histoire de l'édition de l'Algérie indépendante. Malgré toutes les obstructions qui ont commencé depuis le dépôt légal jusqu'aux imprimeurs ayant des rotatives qui ont été menacés si jamais ils acceptent de publier le livre. Il y a des possibilités de faire des choses intéressantes lorsque l'on va au devant de ce qu'attend le citoyen. Moi, je n'adhère pas du tout à cette idée de désespérance qui voudrait qu'entre le maquis ou le renoncement il n'y a pas d'issue politique possible. Au contraire, c'est entre ces deux-là qu'il y a une issue politique possible. Quand on voit des gens venir de Tlemcen et partout dans le pays pour assister au conseil national, c'est important. On n'a pas le droit de dire qu'il n'y a pas de militants et d'acteurs. C'est injuste et c'est dangereux. Donc, il y a encore des possibilités dans notre pays pour ouvrir des perspectives alternatives nationales à l'Algérie. Vous parlez de la nécessité de ne pas céder au désespoir. Le MAK de Ferhat Mehenni vient de nommer « un gouvernement provisoire kabyle ». Quel est votre commentaire sur ce sujet ? N'est-ce pas un acte de désespoir ? D'abord, dans l'absolu, chacun est libre de lancer des initiatives qu'il estime devoir assumer. Maintenant, mon intime conviction est qu'autant on peut partager effectivement un certain nombre d'éléments dans la lecture de la situation, autant ce genre de démarches sont sans issue. Il ne faut pas que le remède soit pire que le mal. On n'est pas là, encore une fois, pour structurer le désespoir. On est là pour construire l'espérance. C'est une démarche complètement différente. Mais dans l'absolu, cela ne me pose aucun problème que chacun dise et fasse ce qu'il a envie de faire. Le gouvernement vient d'engager une enveloppe de 286 milliards de dollars pour l'investissement dans le cadre du plan quinquennal 2009-2014. Cette somme représente plus du double du chiffre avancé par le président Bouteflika lors de sa campagne électorale qui est 150 milliards de dollars. Qu'en pensez-vous ? Je vous renvoie au communiqué du groupe parlementaire du RCD. Quand on réévalue un marché, je ne parle même pas du budget de l'Etat, c'est qu'il doit y avoir des raisons : soit il y a eu erreur d'appréciation au départ et on a besoin de savoir laquelle, soit il y a eu modification dans les éléments structurant le marché et, à ce moment-là, on doit savoir lesquels, soit il y a eu corruption et on est pas obligé de se taire. Ce sont là les trois hypothèses possibles. On a interpellé le Premier ministre parce que la différence ne porte pas sur 2 ou 3%, mais c'est une réévaluation qui a pratiquement multiplié les choses par deux. Il n'y a pas eu de réponse. C'est pour cela que je vous dis qu'il n'y a plus possibilité de traiter les problèmes de l'Algérie par l'échange avec ce pouvoir. Nous ne sommes pas à l'Assemblée nationale pour intervenir et construire. Nous sommes là pour exploiter la tribune et alerter la nation. C'est la fonction tribunitienne de l'Assemblée nationale qui nous a amenés à être là-bas. On n'est dupe de rien. Mais, il est important que les citoyens algériens sachent ce qui ce passe et c'est notre rôle et notre devoir de les alerter sur le patrimoine financier, symbolique, historique, mémoriel, économique qui est en train d'être dilapidé. C'est une prédation généralisée, sur laquelle nous ne pouvons pas rester silencieux. C'est quand la situation est grave que les élites d'un pays doivent se mobiliser et rester disponibles. Comment expliquer le maintien en poste de certains ministres, dont les secteurs sont secoués par des scandales de corruption ? Il ne s'agit pas de réparer les scandales. Il s'agit de permettre aux clans de trouver un équilibre. Parce que le pouvoir algérien, les institutions actuelles ne sont pas conçues pour développer la nation. Elles sont mises en place pour permettre la répartition de la rente en fonction des intérêts des uns et des autres. Donc, si l'idée était de sanctionner ou de réparer l'acte de malversation ou de corruption, il y a longtemps qu'on les a interpellés. Personnellement, je l'ai fait il y a deux ans : je les ai alertés sur le métro d'Alger en pleine Assemblée nationale. J'ai fait de même pour l'autoroute Est-Ouest, sur le problème de l'agriculture… Cette année encore, il y a eu huit députés du RCD qui ont interpellé les différents membres du gouvernement sur des malversations avérées, mais personne ne répond. Il faut bien comprendre que le gouvernement en Algérie n'est pas destiné à prendre en charge et régler les problèmes de la cité. Il a une fonction qui consiste à satisfaire les différentes clientèles du régime. Que faut-il faire pour sortir du blocage dont vous parlez ? Chacun doit jouer son rôle. Les partis de l'opposition doivent jouer leur rôle. Je suis désolé d'avoir à le dire, ce n'est pas parce que les médias ne parlent pas de l'action de l'opposition qu'elle n'existe pas. Vous voyez, un livre, qui a provoqué un séisme dans le pays, est complètement ignoré par l'ENTV. Dans d'autres pays, on aurait dix à quinze émissions sur un événement pareil. Mieux, la Chaîne I a trouvé l'occasion de faire deux émissions sur le livre sans citer ni l'auteur ni le titre. Mais, ce n'est pas parce qu'il y a censure qu'il doit y avoir démission. Tous les trois mois, un conseil national d'un parti se réunit, débat en toute liberté et essaye d'élargir sa base. Il est clair que dans la nature tribale du pouvoir, ils feront tout pour nous contenir et de nous réduire. Mais ce n'est pas une raison pour renoncer. J'invite les Algériens, particulièrement les militants, à bien comprendre une chose : l'Algérie a connu des impasses historiques aussi graves que celle qui se manifeste en cette fin de règne. Vous croyez que c'était si facile pour six personnes de déclencher, le 1er Novembre 1954, une insurrection armée pour libérer le pays ? Vous croyez que si on a entretenu les thèses disant qu'il n'y a rien à faire et que tous les hommes politiques sont les mêmes, leur action aboutira ? Si les gens avaient commencé à faire le listing des problèmes réels et importants qu'ils avaient devant eux, l'Algérie ne serait jamais indépendante. De plus, du point de vue moral, nous n'avons pas le droit de renoncer. Nous activons dans la difficulté, mais elle n'est pas du même degré que celle connue par nos aînés durant les premières années de la Révolution. Nous ne valons pas plus que les Amirouche, les Abane, les Krim et les autres. Alors, je suis scandalisé quand j'entends, non pas les services spéciaux qui distillent du désespoir car ils ont intérêt à le faire, des observateurs qui relayent cette désinformation et cette propagande en disqualifiant tous ceux qui se battent quotidiennement sur le terrain. Ce n'est pas très sain, ce n'est pas très loyal.