Les Tunisiens ont élu Kaïs Saïed à la présidence de la République, avec plus de 70% des suffrages. Le taux de participation a dépassé les 60% à l'intérieur du pays. Un raz-de-marée jamais observé depuis la chute de Ben Ali en 2011. L'universitaire Kaïs Saïed a recueilli près de trois millions de voix et accédé à la présidence de la République en Tunisie, devançant de près de deux millions de voix le magnat des médias, Nabil Karoui. Beji Caïd Essebsi avait recueilli 1,7 million de voix, en 2014, contre 1,3 pour Moncef Marzouki. Les Tunisiens ont été, avant-hier, plus nombreux à participer à l'élection présidentielle qu'aux législatives du week-end précédent. Le taux de participation a dépassé les 60% à l'intérieur du pays, alors qu'il était de 41%, une semaine plus tôt. 85% de la catégorie d'âge de moins de 30 ans, ainsi que les électeurs de niveau universitaire ont voté Saïed, quant à Karoui n'a devancé Saïed que chez les plus de 60 ans et les analphabètes. Sitôt déclaré vainqueur par les instituts de sondage, le nouveau président tunisien, Kaïs Saïed, a remercié «le grand peuple tunisien, qui a montré que le changement est possible à travers la voie constitutionnelle». Saïed s'est dit «fier de cette confiance» et a annoncé qu'il va «essayer, en s'inspirant du peuple, de réussir le changement». «Cette grande victoire montre que rien n'est impossible pour les peuples courageux, comme le peuple tunisien», a-t-il ajouté, sans rien promettre de concret, sauf de faire sa première visite officielle en Algérie, à l'instar du défunt président Beji Caïd Essebsi. Le président Saïed a régulièrement affirmé, lors de son intervention, «son attachement à la Constitution et son respect des conventions internationales, signées par la Tunisie». Première visite en Algérie Deux facteurs ont été déterminants dans l'ascension de Kaïs Saïed. D'abord, les plateaux télévisés l'ont fait connaître au peuple. Le nouveau Président était disponible et répondait à toutes les invitations, pas comme les barons de la classe politique tunisienne. Il a participé, également, bénévolement aux activités et manifestations de la société civile, dont les thématiques portaient sur l'avenir de la Tunisie et la manière de réaliser les objectifs de la révolution. Il préconise un pouvoir populaire, dont les élections locales constituent la pierre angulaire, selon le mode uninominal, en accordant aux électeurs la possibilité de retirer leur confiance à l'élu, s'il ne parvient pas à réaliser le programme convenu. Le second facteur, c'est l'honnêteté et l'intégrité de la personne. Les Tunisiens en ont assez des personnalités politiques corrompues, d'une manière ou d'une autre. Le vote d'hier était, aux yeux des Tunisiens, un choix pour garantir que le Président élu œuvre pour l'avenir du pays, même s'il ne réussit pas à redresser la barre. Les Tunisiens ont élu un homme du peuple à la tête du pays. Leur message fut qu'importe qu'il ait un programme ou pas, l'essentiel, c'est qu'il ne dilapide pas les deniers publics. Perspectives et craintes Les réseaux sociaux et les plateaux télévisés étaient divisés depuis le 15 septembre dernier et l'annonce de Kaïs Saïed comme favori aux présidentielles en Tunisie. Certains modernistes le classent comme «l'oiseau rare» du parti islamiste Ennahdha et de Rached Ghannouchi, surtout que ce dernier l'a soutenu. D'autres modernistes, comme le chef du gouvernement, Youssef Chahed, ou l'ex-député communiste, Adel Chaouch, le soutiennent, le considérant comme «une alternative contre la corruption», sans oublier que «c'est le choix du peuple». La réunion du conseil national du parti moderniste, Tahya Tounes, disposant d'un bloc de 14 membres au nouveau Parlement, n'est pas parvenue à un accord pour soutenir Saïed ou Karoui. Le chef du parti, Youssef Chahed, était favorable au soutien de Saïed. Mais le conseil national a décidé de laisser la libre décision aux membres du parti, pour éviter la division. C'est dire combien la question était susceptible aux yeux des modernistes. Au-delà des interprétations, Kaïs Saïed n'a cessé d'affirmer son attachement à la Constitution, même s'il compte l'amender. Il a insisté, auprès de ses sympathisants, juste après l'annonce de sa victoire, que «c'est la preuve que la voie constitutionnelle peut amener aux objectifs». Ridha Mekki, un membre de sa sphère rapprochée, raconte comment ils sont parvenus à «convaincre des centaines de milliers de jeunes de s'inscrire sur les listes électorales, avec ce dessein de réussir dans les élections». Ridha rappelle que «25% des électeurs ayant voté Saïed, soit plus de 750 000, n'ont pas participé au scrutin législatif, auquel ces électeurs ne s'identifient pas». Une équation vraiment compliquée, surtout avec la mosaïque au Parlement, rendant difficile la formation d'un gouvernement. Le président Kaïs Saïed peut rester aux aguets, puisque la Constitution lui permet de dissoudre le Parlement si les députés ne parviennent pas à former le gouvernement au bout de deux mois. – Qui est Kaïs Saïed ? Le nouveau Président est un assistant universitaire en droit constitutionnel, âgé de 61 ans, récemment admis à la retraite. Sa famille est originaire du Cap Bon, mais, il est né et a fait toutes ses études à Tunis. On ne lui connaît pas d'activités politiques avant la révolution du 14 janvier 2011. Il était juste membre de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, organisme à caractère académique. Après la chute de Ben Ali, Kaïs Saïed est devenu la coqueluche des télés et des radios, comme expert sur les questions constitutionnelles, aussi bien en 2012 et 2013, lors des débats sur la nouvelle Constitution, votée en 2014, ou après, concernant les polémiques d'application de la Loi fondamentale, comme le blocage accompagnant l'installation de la Cour constitutionnelle, qui se poursuit. Concernant sa pensée, le président Saïed n'est, selon son entourage et ses collègues, ni un salafiste ni un nahdhaoui, mais juste un musulman respectueux de la religion sans excès ni fanatisme. L'épouse de Kaïs Saïed est une juge. Il était son assistant à l'université; Mme Saïed ne porte pas le voile. M. S.