Président de la commission nationale de réforme judiciaire (CNRJ), Mohand Issaâd sera présent en tant qu'invité à la conférence sur la justice devant s'ouvrir aujourd'hui au Palais des nations. Dans cet entretien qu'il nous a accordé, il a indiqué que « si les pouvoirs publics ont pris conscience de l'intérêt à réformer la justice, c'est déjà une victoire ». Le bilan de la réforme engagée à la suite du rapport de la commission nationale que vous avez présidée est inscrit à l'ordre du jour de la conférence qui s'ouvre aujourd'hui au Palais des nations. Est-ce que les recommandations de la CNRJ ont été prises en charge par les pouvoirs publics ? Je ne dirai pas qu'il n'y a pas eu de prise en charge sérieuse des recommandations. Les pouvoirs publics disent qu'ils ne peuvent pas tout faire comme avec une baguette magique. Ce qui est vrai en quelque sorte. Il y a beaucoup de choses à réformer, à introduire et aussi à chasser comme les mauvaises habitudes, la désinvolture et le laisser-aller. Je comprends que les pouvoirs publics ne puissent pas tout faire en même temps. D'ailleurs, notre travail à la CNRJ a été basé sur le long terme. Seulement je dis, si les pouvoirs publics ont pris conscience de l'intérêt à réformer la justice, c'est déjà une victoire. Peut-on dire que les recommandations les plus urgentes et prioritaires ont été appliquées ? Il n'y a pas de mesures urgentes et non urgentes. La réforme est un ensemble et les priorités sont celles que vous dénoncez tous les jours à travers vos écrits, à savoir l'abus du recours au mandat de dépôt. Il faut revenir aux statistiques, défricher les dossiers de justice pour savoir si réellement les magistrats font maintenant un peu plus attention avant de mettre quelqu'un en détention préventive. Les échos que j'ai ne me permettent pas de tirer les conclusions. Les plaideurs et les citoyens se plaignent toujours et ont peur de la justice. Une justice crainte est un très mauvais signe, parce qu'une bonne justice est celle qui instaure la confiance avec les gens. Le diagnostic fait par la CNRJ a mis en exergue une justice expéditive, des magistrats submergés par des affaires et en même temps confrontés à des problèmes quotidiens qu'il fallait solutionner. Si nos pouvoirs publics savent déjà quelle est l'importance de la justice dans le pays, comme paramètre de confiance du citoyen envers les pouvoirs publics, c'est déjà une grande victoire. Sensibiliser les pouvoirs publics - et non pas les citoyens parce qu'ils subissent la justice - aux problèmes et insuffisances de la justice. Il faut reconnaître que tout le monde est conscient de cela. Maintenant, sans parler du bilan du travail de la CNRJ, je constate que les pouvoirs publics commencent à faire quelque chose, sans dire si tel problème est prioritaire par rapport à l'autre. L'essentiel, c'est que l'on commence à travailler. Le ministère dit que la justice va mieux puisqu'il n'y a plus de retard dans le traitement des affaires. Ne pensez-vous pas que cette célérité dans les jugements risque de se faire au détriment de la qualité de la justice rendue ? Effectivement, c'est un risque. Nous n'avons jamais dit qu'il faut évacuer rapidement les dossiers. Nous avions appelé à une justice équitable qui puisse répondre aux vœux de la population. Nous voulions une justice de qualité et non de célérité. Mais pour y arriver, il faut mettre les moyens. Comment peut-on avoir, hier, des dossiers importants qui sommeillent et puis subitement dire qu'il n'y a plus d'affaires en instance avec le même effectif de magistrats ? Il y a quelque chose de suspect. Il n'y a que deux explications à cette situation : ou les magistrats ne faisaient pas bien leur travail avant ou ce qu'ils sont en train de faire est expéditif. Les deux cas ne sont pas souhaitables pour l'équilibre d'un pays. Pensez-vous que les recommandations de la conférence d'aujourd'hui pourront améliorer la situation de la justice ? Bien sûr que nous pouvons améliorer la justice pour peu qu'il y ait une volonté politique. Vous avez vu le nombre impressionnant de participants et la qualité de certains d'entre eux. Cela veux dire que l'Etat accorde de l'intérêt au problème de la justice. Il faut être donc optimiste. Ne craignez-vous pas que ces recommandations puissent connaître le sort de celles de la CNRJ ? Je ne peux spéculer sur l'avenir et il n'y a pas de raison d'être pessimiste. Disons que ce que nous voyons et les discours que nous entendons sont nouveaux. Si les choses tournent mal, nous nous reverrons dans deux ans et je vous dirai ce que je pense. Le ministère de la Justice parle d'un plan quinquennal (jusqu'à 2009) basé sur les recommandations de cette conférence. Qu'en est-il alors du devenir du travail de votre commission ? Il n'y a pas de contradiction entre les recommandations de la CNRJ et celles qui vont sanctionner la conférence. Elles se rejoignent. Les méthodes sont peut-être nouvelles, parce que nous avions fait dans la théorie en signalant les problèmes, tout en proposant des solutions, mais sans pour autant expliquer comment et avec quels moyens ces solutions vont être appliquées. Parce qu'il faut reconnaître que le ministère de la Justice se heurte souvent à des problèmes réels liés à la définition des moyens de la réforme et de son délai. Pour cela, nous ne pouvons pas le critiquer parce qu'il ne va pas suffisamment vite comme nous le souhaiterions. L'essentiel, c'est que que l'Etat s'attelle à régler ces problèmes.