Comme tracé par le vice-ministre de la Défense, le «plan élection» suit son cours malgré une très forte opposition populaire. Le 12 décembre, date du scrutin, est pour bientôt, et tout porte à croire que cette élection se tiendra contre vents et marées si on se réfère à la frénésie populiste qui s'est emparée de ses organisateurs et bien entendu de ses ardents défenseurs. Bien qu'ils soient conscients que cette consultation pour désigner un nouveau président de la République se prépare dans des conditions extrêmement hypothétiques, voire hasardeuses compte tenu des réactions d'hostilité qui l'assaillent de toute part, ces derniers maintiennent le cap pour la mener à terme avec cette certitude que le hirak, malgré sa forte mobilisation, ne constitue pas dans l'absolu une force dominante pour arrêter le processus. A la limite, dit-on dans les coulisses du sérail, il peut engendrer quelques perturbations ou parasitages, mais à aucun moment le mouvement insurrectionnel n'est considéré comme un danger potentiel capable de tout remettre en cause. En filigrane, le chef d'état-major l'a à maintes reprises laissé entendre dans ses discours d'orientation pour minimiser ou banaliser l'influence de ce dernier, leitmotiv au demeurant repris à l'unisson par les candidats à l'élection pour donner une raison psychologique à leurs propres ambitions, manière de dire que l'orage finira bien par se dissiper au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'échéance. C'est Abdelmadjid Tebboune, l'homme qui passe pour être le favori de la course, qui aura été le plus explicite à ce sujet en martelant que «ces élections auront lieu quelles que soient les circonstances» pour bien faire admettre l'idée que hirak ou pas la mission prise en charge par le commandement militaire ne déviera pas de son objectif. L'ex-Premier ministre de Bouteflika qui semble avoir oublié qu'il a été un des membres résolus de la «bande» quand il était aux affaires, jurant à l'époque – exactement comme il le fait aujourd'hui – qu'il ferait tout pour faire passer le programme de son mentor, prend aujourd'hui un autre habit, celui d'un personnage au-dessus de tout soupçon, qui serait même disposé à répondre aux revendications de la révolution. Mémoire défaillante ou stratégie puérile pour tromper son monde, toujours est-il que le postulant le plus visible du régime a enfourché sa monture sans complexe pour affronter l'adversité qui l'attend au tournant. Et pour faire d'emblée impression, il a recours à la vieille méthode du populisme qui consiste à dire n'importe quoi pour s'attirer les faveurs des suffrages si tant est que ceux-ci lui sont nécessaires alors que sa carte semble avoir déjà été retenue en haut lieu comme un atout maître. Alors que la campagne officielle pour la présidentielle n'est pas encore ouverte, il délivre trois promesses fracassantes qui laissent les experts financiers sans voix : pas d'impôts pour les salaires de moins de 30 000 da, l'allocation touristique sera portée à 1500 euros et, cerise sur le gâteau, l'argent détourné et transféré par les corrompus de la bande sera récupéré et reversé dans les caisses du Trésor public, au moment où notre économie est à plat et où la planche à billets continue de colmater les déficits. En tant qu'ancien chef du gouvernement qui avait une vue globale sur les finances publiques, il sait pertinemment qu'ajouter de la pression sur la trésorerie nationale s'avère suicidaire, mais il le fait quand même pour des considérations électoralistes en étant certain qu'un tel programme n'a aucune chance de se réaliser. C'est ce qu'on appelle un déni de la réalité qui s'apparente à une grossière escroquerie intellectuelle dans la mesure où il pense avoir affaire à des électeurs potentiels qui ne savent pas faire la part des choses et qui seraient vite séduits par le «pragmatisme» rédempteur du candidat. Tebboune se trompe-t-il d'époque ? Non, assurément… il reste simplement dans la lignée de tous les démagogues qui l'ont précédé et qui ont fait le lit de la faillite actuelle du pays. A commencer par Bouteflika, le bonimenteur le plus affûté d'entre tous, qui avait fait les promesses les plus insensées lors des campagnes électorales l'ayant mené à la magistrature suprême, et qui évidemment se sont avérées des fiascos ruineux. L'homme sur lequel miserait le sérail pour le 12 décembre a la gâchette facile quand il s'agit d'être généreux sur la manne financière à distribuer, mais il est moins tranchant lorsqu'il est confronté à la position politique. Il l'a démontré lorsque la question lui a été posée par une chaîne privée sur le sort qu'il réservera aux détenus d'opinion une fois élu. «Je laisserai le soin à la justice de faire son travail…», a-t-il répondu non sans une certaine gêne dans le propos, ce que le public a compris comme étant non pas une conviction profonde devant une injustice flagrante alors que l'on prétend vouloir construire un système démocratique, mais une règle incontournable d'alignement sur les thèses du commandement militaire pour qui il rentre dans la logique qu'un activiste ou un homme politique soit incarcéré pour ses idées. En multipliant les plateaux de télé ces jours-ci, Tebboune se met de plus en plus dans la peau d'un postulant sûr de son entreprise. Entre le commis d'Etat qui a accompli son devoir national et l'homme du peuple qui veut être à l'écoute de ses semblables, il joue intelligemment sur les deux tableaux. En espérant que le scrutin sur lequel il investit tant d'espoirs résiste d'ici là à la contestation permanente. Si le hirak jure de son côté que cette élection ne répond nullement à ses aspirations, les services-clés du régime sont là pour lui rappeler qu'administrativement et médiatiquement la machine est déjà lancée et qu'elle n'est pas près de s'arrêter. Dans cette optique, ce sont toutes les méthodes exécrables de désinformation du FLN qui ont été remises au goût du jour. Les foules sont ramenées par cars pour faire la promotion, le temps d'une procession bien encadrée, de l'élection et soigner au passage le culte de la personnalité de son promoteur. Sous l'œil vigilant des caméras de l'Unique qui veille à reproduire aux JT des images spontanées et enthousiastes d'un contre-hirak qui laisse perplexe sur le côté superfétatoire de son contenu. La note la plus hideuse ira aux chaînes de télévision qui ont carrément perdu l'esprit éthique. Elles ignorent superbement les marches des millions d'Algériens qui disent non à la parodie électorale, et accordent un temps de passage éloquent à celles mille fois plus réduites de ceux qui disent oui souvent sans le savoir eux-mêmes.