Longtemps considérée comme un grand village à défaut d'être une grande ville, Bouira, chef-lieu de wilaya, offre une image d'une cité qui peine à amorcer le décollage, à tous les niveaux, qui lui permettrait de répondre aux exigences des temps modernes. On a beau la « débarbouiller » et la « maquiller », cette agglomération persiste dans sa nonchalance qui la relègue aux antipodes des meilleures aspirations. Beaucoup de choses manquent à l'appel. Sur les plans social, économique, culturel, touristique et sportif, tout reste à faire. Une virée s'impose pour évaluer les insuffisances que subit cette localité, pourtant avantagée par la nature qui la situe, géographiquement, d'une part, à proximité d'un décor sublime qu'est la chaîne montagneuse du Djurdjura et le site touristique de Tikjda et, d'autre part, tout près d'une zone boisée, la forêt Errich, qui présente l'avantage d'offrir un cadre des plus agréables tant pour les férus du sport, dont le jogging et autre footing, que pour les adeptes des pique-nique et des randonnées. Vue de Ras Bouira, un quartier situé en amont et qui est un conglomérat d'habitations perché sur une colline, l'agglomération a tendance à se ramifier et à s'étirer en large d'est en ouest, en témoigne le grand nombre de chantiers tous azimuts. On construit, on procède à des réfections et des réaménagements. Des immeubles, conglomérés, s'érigent un peu partout gangrenant ainsi des espaces qui furent naguère des terres agricoles et autres vergers dont se targuait la région. Les surfaces « irrigables » se rétrécissent ainsi telle une peau de chagrin. « Dans quelques années et à cette allure, ce qui reste des terres agricoles aura totalement disparu », dira un citoyen de Ras Bouira. « Et, qu'adviendra-t-il de Bouira ? », finit-il par lâcher. Une question innocente mais pleine de bon sens. Car, plus nous nous approchons de la ville, située en aval, plus nous nous apercevons que le béton « dévore » les terres fertiles. Du coup, c'est tout le secteur primaire, qui faisait la force économique de la région, qui est balayé d'un revers de main. Entre archaïsme et modernité La ville semble tanguer entre l'archaïsme et le semblant de modernité car le premier constat frappant est le paradoxe qui existe entre les vieilles bâtisses, datant de l'ère coloniale et qui semblent défier le temps et les autorités locales, et ce qui se fait de mieux aux alentours. Le centre-ville en est ainsi la parfaite illustration de ce contraste. D'abord, la place des Martyrs. Surtout, ne vous fiez pas à l'appellation ! Ni stèle, ni monument, ni même la moindre trace ou signe qui s'y rapporte. C'est, en fait, un semblant de carrefour où s'agglutinent les locaux commerciaux datant de l'ère coloniale et dont les tuiles rouges sont noircies par le temps. « Pourquoi ne rase-t-on pas ces vieilles bâtisses ? Se demande un de nos accompagnateurs, on se croirait à Sidi Aïssa des années 1960 et 1970 ! » A ce sujet, nous apprenons que lesdits locaux étaient destinés à être rasés pour des projets beaucoup moins encombrants et plus esthétiques. Mais, à cause de l'indivision qui les caractérise, du fait qu'ils appartiennent à des privés, trouver un ou des interlocuteurs avec lesquels un accord serait conclu en vue de la démolition, reste le nœud gordien. Ainsi, le centre-ville donne une image exsangue d'un quartier qui étouffe. Ces locaux commerciaux, des gargotes, des « pizzerias », des taxiphones qui poussent comme des champignons et surtout des cafés sont ainsi comprimés. Ces derniers ne désemplissent pas à longueur de journées. D'autant plus qu'en cette période de la saison, les prémisses de la canicule incitent à la nonchalance. Beaucoup de jeunes s'y attablent. C'est pratiquement dans ces cafés que les Bouiris « tuent le temps » et trouvent leur compte. C'est « leur » milieu. « Et où voulez-vous qu'on aille ? Nous dit un jeune assis dans la terrasse du café Le Maghreb. Y a-t-il d'autres endroits meilleurs ? » Des interrogations qui ne demandent aucune réponse. Pour notre interlocuteur, ces questions sont, en fait, des affirmations. Nul besoin d'aller chercher des arguments devant une réalité aussi limpide. Et pour cause, aucun domaine, pouvant soustraire les Bouiris de l'oisiveté et de la nonchalance, ne leur est proposé. Ni le sport, plus particulièrement le football qui est à la traîne depuis des décennies, ni la culture, dont des « soupçons » n'apparaissent que sporadiquement, ni, à fortiori, le tourisme local qui est, lui aussi, renvoyé aux calendes grecques, ne viennent au secours d'une population, hélas ! condamnée à faire avec la morosité et à la monotonie de la cité. « Vous savez, intervient un autre habitué des lieux, bien que je sois né et aie vécu ici à Bouira, je me considère toujours comme un étranger ». Il se tait un court instant puis enchaîne : « Pourtant, nous aimons cette ville. » Mais, pour lui, tous les jours que Dieu fait se ressemblent depuis toujours. L'itinéraire pour la grande majorité des citoyens est simple : lieu de travail, maison, café, à longueur de semaines, à longueur de mois, à longueur d'années. De la place des Martyrs à Oued D'hous, tout n'est que locaux commerciaux dont les propriétaires se sont accaparés non seulement les trottoirs où ils exposent leurs produits, alimentation générale, fruits et légumes, électroménagers et autres brocantes, mais aussi une partie de la chaussée attenante. En effet, afin que les véhicules ne viennent pas garer ou stationner face à leurs boutiques, les propriétaires des magasins ne se gênent pas pour placer, qui des cageots, qui des chaises et même des escabeaux et des cartons. Cette situation perdure au vu et au su des autorités compétentes qui semblent laisser faire. Un constat qui s'avèrera être « un fléau » puisque la plupart des quartiers sont dans le même cas. Pis encore, les trottoirs, à travers tous les quartiers de la ville que nous avons visités, sont envahis par les revendeurs de tabac, d'arachides et autres fruits secs. De chaussures et articles d'habillement sont exposés à même le sol, obligeant les piétons à circuler sur la chaussée. Nous poursuivons notre « virée » vers la gare routière. Nous empruntons, à cet effet, la nouvelle trémie. Là, également, un fait attire notre attention : des fourgons de transport intra urbain de voyageurs, en double file, occupent toute une partie de la voie, réduisant ainsi le champ de manœuvre des autres usagers. « On nous a dit de stationner ici et…voilà ! », nous disent les conducteurs de ces véhicules. L'agence de transport de voyageurs ressemble plus à une foire qu'à une gare routière. En effet, l'anarchie semble avoir pris le dessus sur toutes les réglementations en vigueur. On y gare n'importe où et n'importe comment. Les J9, les boxers et autres fourgons, les taxis de location occupent ainsi tous les espaces possibles et imaginables et qu'importe si les autres sont dérangés ! Une économie de bazar Nous suivons, à pied, un chemin jouxtant l'agence et qui est, en fait, une espèce de couloir en pente dont les escaliers servent à la vente, au noir, de toutes sortes de pacotilles. Tout se vend. Des clous et autres écrous et pièces de rechange aux cassettes et livrets de poche d'El-Karadaoui et de Tabani en passant par le musc, le henné et autres babioles. Même l'habillement y a trouvé sa place. Des cintres portant des tricots, des robes, des vestes et vêtements pour enfants sont accrochés au grillage. Pourtant, avons-nous appris que cet accès a été interdit pour cette pratique par les autorités locales et, pendant un certain temps, les revendeurs avaient disparu avant de réapparaître comme si de rien n'était. C'est la parfaite illustration de l'économie de bazar et la passivité de ceux qui sont censés faire appliquer la loi. Nouvel itinéraire. Direction la cité 1100 Logements, appelée communément l'Ecotec. Le marché hebdomadaire attenant à la gare ferroviaire a été délocalisé. Placé désormais près la nouvelle cité universitaire et la « zone industrielle », ce marché est devenu plus un inconvénient qu'un avantage pour les citoyens. Qu'on en juge. Les produits mis en vente sont exposés de part et d'autre de la voie qui conduit à la cité dite 140 Logements. Il faut y faire un tour pour se rendre compte de la gêne et de l'embarras des usagers de cette route qui doivent user de « gymnastique » pour s'en sortir. Cette situation improvisée par les autorités n'est guère une solution même à titre temporaire. Nous arrivons à l'Ecotec. C'est un quartier populeux fait de buildings. C'est la partie la mieux entretenue et la moins organisée de la ville car les résidents vivent en communautés. C'est de là aussi qu'ont fusé les premiers « one, two, three, viva l'Algérie ! », lors des productions de l'équipe nationale. Il suffit de voir les dessins muraux et autres banderoles et drapeaux faits en son honneur pour jauger de la ferveur des jeunes de ce quartier. « Ici, à l'Ecotec, il y a d'abord l'équipe nationale, ensuite la JSK, le MCA et l'USMA, y a kho ! », nous disent les jeunes. Heureusement qu'il y a le football pour atténuer un tant soit peu le marasme, le vrai, l'unique que provoque le chômage chez cette frange de la population. Car à l'Ecotec comme dans le reste de Bouira, ce problème, que vit la jeunesse, ne date pas d'aujourd'hui et ce n'est pas l'absence manifeste des secteurs industriel et agricole qui permettra aux jeunes bouiris d'entrevoir une issue à leur devenir. En attendant, ils ne savent même pas quoi, ces jeunes tournent en rond, font de petits « boulots » et s'improvisent des occupations, bien des fois illégales. Mais, ont-ils d'autres alternatives ?