En dépit du rôle défensif qui lui est officiellement assigné, impressionné pas l'impact tragique qu'il exerce sur les Palestiniens, le Mur de séparation israélien s'est transfiguré en support d'expression. Il est le lieu d'intervention d'arts visuels qui y importent leur contemporanéité, usant d'outils (peinture, bombes aérosols…), de procédés (pochoir, collages…) et de techniques et de technologies (numériques) intimement combinées. Les expressions s'y déclinent au gré des pulsions protestataires de tagueurs et de projets recherchés créatifs, politiquement engagés, de graffeurs, d'affichistes, de photographes, vidéastes, publicitaires, etc. Street Art, arts d'activistes politiques produisant à même le béton de ses hautes parois, photographie, vidéos de professionnels ou d'observers ordinaires, quelque expression et technique qu'il suscite, le Mur exalte la geste de ceux qui vont à l'assaut de sa réalité pour la réduire ou la transcender. Ils sont anonymes palestiniens, pacifistes et altermondialistes de tous pays, parfois artistes réputés. Champ d'expression immédiate (slogans, protestations…) ou de composition recherchée (fresques, trompe-l'œil…), le Mur implique la mise en œuvre de modes opératoires par des « assaillants » qui défient la force militaire occupante, et des performers athlétiques s'exposant au risque suprême. Expression révoltée, aprêtée, provocation, profession de foi, démonstration péremptoire, objet de prise de risque adrénalogène, le Mur se fait l'exutoire de motivations complexes, obsessionnelles aussi. Il est la scène abrupte à partir de laquelle ces arts visuels communiquent au monde, via internet, une production globalisée, un positionnement d'abord politique, un ego peut-être. Les ressorts créatifs des « artivistes » dénonçant l'existence du Mur de séparation israélien en Palestine comme leur production prêtent à examen analytique. Par-delà son bornage, par-delà les continents, le Mur fait également l'objet de dessins politiques de presse et de représentations en appui argumentaire aux opposants à son existence, comme à la politique qui l'a engendrée (tous supports confondus : affiches, autocollants, sites internet, blogs…). La bande dessinée n'est pas en reste ni le film d'animation qui s'emparent aussi de sa problématique. Art de guerre, guerre de l'image, images en guerre ou de la guerre, autant de propositions, de définitions autour de l'imagerie exposée sur le Mur ou à son propos, autant d'interrogations et d'interprétations à démêler. En proposant une revue commentée de l'iconographie du Mur, galerie d'art démesurée à ciel ouvert, il importe aussi d'en considérer les conditions d'exécution in situ, conjuguant le furtif avec le clandestin. « Réservoir de traces », de témoignages originaux ou redondants, souvent spectaculaires, filant du tracé primal perpétré à la bombe aérosol, au spot publicitaire le plus sophistiqué comme le plus scandaleux, le Mur n'en finit pas de se dire et de faire dire. Coursé par une inflation visuelle censée œuvrer à sa chute, qu'advient-il en définitive de sa réception ? Edifice d'occultation oppressif, l'image ne risque-t-elle pas, à rebours, de travailler à l'occultation de sa problématique mortifère ? Conférence de Mme Nadya Bouzar-Kasbadji, Arts visuels en rafale : le Mur pour cible, Palestine 2002-2010, jeudi 17 juin 2010, Dar Abdellatif, Chemin Kechkar Omar, El Hamma, Alger