Le pays a vécu plus d'événements au cours de l'année qui s'achève qu'en dix ou vingt ans. D'abord, une vaste mobilisation populaire de dix mois, phénomène inédit depuis l'indépendance. Un soulèvement citoyen et pacifique contre un système autoritaire, dont le régime finissant de Bouteflika en a été l'expression la plus répulsive et qui n'a fait qu'attiser davantage l'opposition de ces millions d'Algériens qui ont investi les rues de toutes les villes du pays depuis le 22 février. Cet élan populaire, ce hirak, qui, durant dix mois dans le calme et la sérénité, a exprimé haut et fort en exigeant le départ du système politique dévoyé, de ses résidus et dénoncé par la même la corruption qui l'a gangrené et souillé toutes les institutions élues par la fraude et le clientélisme dévastateur. Jamais, sans doute par le passé, l'aspiration à une Algérie libre et démocratique n'aura été aussi largement partagée dans un degré de conscience élevé tout au long de ces «vendredis et mardis de l'espoir». Et surtout dans une communion fraternelle jamais vue auparavant qui a suscité l'admiration et le respect de par le monde. La détermination de cette Algérie qui manifeste aura eu raison du régime finissant, dont la déchéance aura été l'une des plus grandes humiliations du système autoritaire, tout comme les deux tentatives de tenir une présidentielle en avril et juillet 2019. Par contre, rien n'aura réussi à émousser, encore moins affaiblir, le hirak qui aura réussi à traverser les grosses chaleurs de l'été, les vacances et le Ramadhan et à poursuivre sa marche émancipatrice en se réappropriant les symboles de la Guerre de Libération nationale et les figures historiques qui l'ont portée. Rien, pas même les provocations et les tentatives de division de la part du pouvoir autour de la question de l'emblème amazigh brandi par les manifestants n'ont réussi à détourner la volonté citoyenne de s'affranchir une fois pour toutes de l'autoritarisme dévastateur. Encore moins les arrestations arbitraires et l'emprisonnement de manifestants, de cybermilitants ou encore de personnalités historiques, comme le moudjahid Lakhdar Bouregaâ, n'ont ni freiné, ni empêché le hirak de gagner en ampleur et en maturité, de devenir incontournable à travers les revendications et les aspirations populaires qu'il porte. Depuis le 12 décembre, le pouvoir incarné par un nouveau Président mal élu ne semble pas avoir rompu avec les anciennes pratiques autoritaires, en dépit de l'intention formulée du bout des lèvres de dialogue et d'ouverture. Dans la pratique, les arrestations se multiplient malgré des appels à des mesures d'apaisement, à travers l'élargissement des détenus et la libération de l'expression dans les médias publics. Plus grave encore, la tentation de la répression du hirak et de toute contestation populaire est de plus en plus évidente à travers l'interdiction par les autorités officielles de plusieurs marches ces dernières semaines dans de nombreuses wilayas. Tout comme la volonté de revenir au monopole de l'information officielle à travers le canal de l'APS qui, même si certains s'obstinent à ne pas y voir une tentation de verrouillage médiatique, ne se situe pas moins aux antipodes de l'exigence d'ouverture, comme signe et volonté d'apaisement du climat social. Le laxisme, enfin, dont font preuve les autorités à l'égard des actes de violence contre le hirak et les provocations en tout genre, suscite interrogations et inquiétudes sur les véritables ou supposés instigateurs et à qui profitent de tels agissements ? Mais en dépit de cela, il est de plus en plus évident que tout comme l'année qui s'achève, celle qui vient sera celle du hirak.