Liberté : Abdelmadjid Tebboune a été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle jeudi dernier. Le régime a ainsi réussi à organiser son scrutin même si le taux d'abstention culmine à plus de 61%. Pensez-vous que cette élection sera une solution à la crise ou qu'elle ne fera que l'aggraver, surtout que la mobilisation pour son rejet ne faiblit toujours pas ? Brahim Oumansour : Cette élection est considérée par le pouvoir politique comme la seule solution possible à la crise. Manifestement, cette élection est une solution pour le pouvoir permettant à l'état-major de se retirer et de retourner dans l'ombre, puisqu'un président civil vient d'être déclaré par les résultats du scrutin. C'est la façade politique à laquelle le pouvoir aspirait et qui, vraisemblablement, devra négocier et gérer la prochaine étape de la crise. Cependant, cette élection risque, en même temps, de devenir un problème et le hirak de se durcir ou au moins de se poursuivre. La population considère cette élection comme une provocation car elle ne répond pas à ses attentes. D'autant plus que le candidat élu est issu du système, voire proche du pouvoir. Son élection pourrait donc renforcer la crise de confiance qui sépare la population du pouvoir. Reste à savoir maintenant quelle sera la politique d'Abdelmadjid Tebboune ; va-t-il concrétiser cette main tendue dont il a parlé lors de sa première conférence de presse post-élection ? Cela passerait, bien évidemment, par des mesures d'apaisement qui ouvriront la voie à une transition. Le dialogue annoncé par Abdelmadjid Tebboune ne servirait-il pas, tout compte fait, à quêter une légitimité pour un président mal élu ? C'est là où on risque sérieusement d'être dans une impasse. Depuis plusieurs mois, le hirak comptait essentiellement sur l'armée pour satisfaire ses revendications. Maintenant que l'armée se retire et si le président élu ne fait montre d'aucune réelle bonne volonté pour satisfaire les revendications du hirak, il y a un sérieux risque de statu quo qui pointe à l'horizon. Le problème majeur auquel fait face le président élu est celui de rechercher la confiance de la population pour le pouvoir car le régime n'a pas essayé de le faire. Il y a eu a contrario une série d'arrestations et une vague de répression qui ont renforcé ce sentiment de défiance envers le pouvoir. Pour regagner cette confiance, les petites mesurettes ne seront assurément pas suffisantes car le hirak a atteint un niveau de maturité politique tel qu'il est impossible de le duper par des mesures inconsistantes. Si le président élu venait à faire de cette offre de dialogue une arme de division, cela réussira peut-être à dégarnir le hirak de quelques figures, mais il y a un risque que le mouvement se radicalise et que le climat social se tende davantage. Au plan purement politique, le dialogue serait-il possible avec un président dont le hirak a contesté la légitimité dès l'annonce des résultats de l'élection ? Il est vrai que le problème majeur auquel fait face le président élu est un problème de légitimité. L'administration lui donne une légitimité institutionnelle, mais la légitimité populaire lui fait défaut. Même les chiffres officiels témoignent clairement de cette fragilité en matière de légitimité populaire. Cependant, si Abdelmadjid Tebboune venait à adopter la même politique de défiance envers le hirak, cela ne ferait qu'aggraver la crise, mais s'il tend réellement la main au hirak, avec une ferme volonté de créer un climat sain et serein, le hirak sera assez intelligent pour se rendre compte qu'un dialogue est nécessaire avec les autorités. Lorsque vous parlez d'un climat sain et serein comme un préalable à un quelconque dialogue, à quoi faites-vous allusion ? Il est question de mettre en place des mesures d'apaisement, dont le choix des personnalités qui seront associées au dialogue et qui doivent être honnêtes et reconnues en tant que telles par la population. Il est question aussi et surtout de libérer les détenus dont les dossiers ont été établis sans le moindre fondement juridique. Comment voyez-vous le futur rôle de l'armée ? Il est d'abord sécuritaire. Il consiste à garantir la stabilité de l'Etat, à sécuriser les frontières, à faire face à la menace terroriste et à l'instabilité régionale. Quant à savoir si l'armée cessera de se mêler de la politique après la tenue de cette élection, cela reste assez confus car l'on s'interroge également légitimement sur la marge de manœuvre dont dispose le président élu. En tout cas, si certains hauts cadres de l'armée continuent à cultiver les mêmes influences sur les politiques, cela risque d'entraver encore une fois le processus de transition, et ce, malgré des bonnes volontés.