Cinquante ans après les premiers essais nucléaires au Sahara et quatorze ans après leur arrêt en Polynésie, les premières victimes de ces essais, dont les dossiers auront été jugés recevables, pourront obtenir réparation « avant la fin de l'année ». Paris. De notre bureau C'est du moins ce qu'a promis Hervé Morin, ministre de la Défense, le 28 juin à Arcueil (Val-de-Marne), où il a inauguré le secrétariat du nouveau comité d'indemnisation créé par la loi du 5 janvier 2010. « La France souhaite être en paix avec elle-même sur cette question. » « Aujourd'hui, la France peut enfin clore sereinement un chapitre de son histoire », a affirmé le ministre de la Défense. Avec l'Algérie, ce chapitre est-il vraiment clos. Alors que nous lui demandions si un accord bilatéral algéro-français de règlement global du contentieux nucléaire est envisagé et si le comité d'experts algéro-français va remettre bientôt ses premiers résultats, le ministre de la Défense français a eu cette réponse laconique, mais qui n'en signifie pas moins : « Il est clair que nous prendrons en compte les populations algériennes qui ont été concernées par les essais nucléaires. Sur le reste du dossier, c'est un dossier compliqué, un dossier lourd sur lequel nous essayons d'avancer. C'est de la diplomatie. » En attendant, s'ils souhaitent être indemnisés et s'ils parviennent à réunir toutes les pièces exigées pour ce faire, les irradiés algériens ou leurs ayants droit devront se rapprocher de l'antenne du secrétariat d'Etat aux anciens combattants installée à l'ambassade de France à Alger. C'est là qu'ils devront retirer le formulaire d'indemnisation et le renvoyer, une fois dûment rempli, accompagné des pièces exigées, avec accusé de réception. Parmi les populations du Sahara, les personnes irradiées ou leurs ayants droit devront prouver qu'elles étaient sur les lieux au moment où se sont produits les essais. Il s'agira aussi de prouver que la maladie (un des 18 cancers retenus par la loi) est liée à ces mêmes essais. La loi précise qu'est concernée toute personne civile ou militaire souffrant d'une des 18 maladies radio-induites suivantes : cancer du sein (chez la femme) ; cancer du corps thyroïde pour une exposition pendant la période de croissance ; cancer cutané sauf mélanome malin ; cancer du poumon, du côlon, des glandes salivaires, de l'oesophage, de l'estomac, du foie, de la vessie, de l'ovaire, du cerveau et du système nerveux central, des os et du tissu conjonctif, de l'utérus, de l'intestin grêle, du rectum et du rein. Pour justifier la limitation des pathologies radio-induites à 18, le ministre de la Défense avance les rapports scientifiques de l'Unscear (agence des Nations unies). Tout demandeur devra réunir trois conditions cumulatives de lieu, de date et de maladie pour que son dossier soit recevable, selon le décret d'application de la loi d'indemnisation publié le 11 juin. Concernant les essais français en Algérie, il doit avoir résidé ou séjourné dans certaines zones du Sahara : entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des Oasis ou dans les zones périphériques à ces centres. En Algérie, deux zones – respectivement 350 km et de 140 km de profondeur – des sites d'expérimentation de Reggane et d'In-Ekker ont été définies. Les zones retenues pour les essais au Sahara contournent les lieux d'habitation des populations sahariennes, dénoncent les associations de vétérans AVEN et Moruroa e Tatou dans un communiqué de presse rendu public lundi, dans lequel elles relèvent par ailleurs que le ministre de la Défense est « juge et partie » et constatent que sur les 8 membres du Comité d'indemnisation, 5 doivent recevoir l'aval du ministère de la Défense et que la décision d'indemnisation est prise en final par le ministre de la Défense. Et 13 des 19 membres de la commission consultative de suivi – le ministre de la Défense préside la commission – sont nommés ou doivent avoir l'aval du ministre de la Défense. L'instruction du dossier débute dès la réception du formulaire du demandeur et des pièces justificatives par le secrétariat du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (civen). Chaque dossier est traité au cas par cas en deux étapes : administrative puis médicale. Dès que le dossier est complet, il est présenté au civen qui peut demander une expertise médicale complémentaire. Enfin, sur recommandation du civen, le ministre de la Défense propose une offre d'indemnisation au demandeur ou lui oppose un rejet. L'indemnisation est estimée dans une fourchette de 50 000 à 90 000 euros. Le civen dispose d'un délai de six mois pour émettre un avis sur la demande ; passé ce délai, l'absence de réponse signifie rejet, lequel ne sera pas argumenté. Sur 8000 adhérents de l'AVEN et Moruroa e Tatou, associations de vétérans (civils et militaires), qui ont constitué des dossiers, seuls 837 répondent aux critères de la loi du 5 janvier 2010, soulignent leurs représentants pour expliquer le cadre restrictif de la loi (El Watan du 27 juin 2010). Et encore cela ne signifie pas qu'ils seront tous retenus par le comité d'indemnisation. 250 dossiers seront présentés dans les prochains jours ; ils seront suivis de 500 autres. Inutile d'imaginer les obstacles que devront franchir les victimes algériennes.